Les futurs prêtres des cinq continents abordent désormais leur rapport à la sexualité dès leur première année de formation. Alors que se tenait, du 19 au 24 février, un sommet au Vatican sur la prévention des agressions sexuelles sur mineurs, trois jeunes prêtres français ont accepté de répondre à nos questions sur le contenu de ces cours et de livrer leur ressenti sur la pédophilie dans l’Eglise.
Murs blancs immaculés, peinture de la vierge Marie trônant sur une commode en bois sombre. Dans une petite salle du séminaire pontifical français, une des cent vingt-sept maisons de formation des prêtres à Rome, Emmanuel, Charles et Sébastien, tentent de définir ce qu’est la pédophilie. « C’est un péché profondément grave ! », s’exclame Emmanuel, 23 ans. « D’un point de vu médical c’est une pulsion sexuelle incontrôlable, au plan légal, c’est un crime », soutient Charles, 24 ans. Les trois futurs prêtres sont dans leur deuxième cycle de formation, qui dure en tout sept ans. Ils ont déjà passé deux années minimum en France, à étudier la philosophie et la théologie générale. Dès ce premier cycle, les étudiants sont amenés à se questionner sur leur volonté de s’abstenir de toute relation sexuelle au cours de leur vie.
Depuis 2016, la nouvelle Ratio fundamentalis, le programme du Vatican sur la formation des prêtres à destination de tous les séminaires du monde, intègre à la formation la prévention de la pédophilie : « Elle devra se dérouler tout au long de la formation des séminaristes, intégrée dans un parcours de construction humaine, de la vie affective, de la connaissance de soi et de la morale sexuelle », indique le rapport de la Conférence des évêques de France sur la lutte contre la pédophilie dans l’Église, publié en 2018. En 2016, éclatent des scandales de pédophilie d’ampleur, telle que l’affaire du cardinal Barbarin en France, poursuivi par la justice pour non dénonciation d’un prêtre pédophile, le père Preynat. La même année, le pape François convoque un congrès international composé d’évêques et de formateurs, afin de réviser le programme de formation des prêtres. Cette nouvelle Ratio Fundamentalis vise à rendre systématique l’intégration de cours sur la sexualité. « Dans tous les pays où il y a eu la libération des moeurs, cela se fait depuis longtemps », avance Vincent Siret, recteur dirigeant du séminaire pontifical français à Rome. Mais les choses ont mis plus de temps à se mettre en place dans d’autres pays, par exemple en Asie, où parler de sexualité est encore tabou ».
En France, les questions de sexualité sont apparues dans la formation des futurs prêtres dès les années 1970. Durant des sessions de « psychologie générale » (en 1ère et 2ème année), de « psychologie de l’affectivité » (en 3ème et 4ème année à raison d’une heure par semaine au cours du 1er semestre) et de morale sexuelle, les futurs prêtres abordent les thèmes du célibat et de la chasteté. Il s’agit de cours académiques en groupes de dix à vingt étudiants, donnés par des intervenants issus de la société civile, tels que des psychologues, des psychiatres et des juristes. Pendant ces sessions sont abordées les thèmes du célibat, du rapport à la famille ou de la pédophilie.
Maturité affective et célibat
« Il y a la connaissance de soi, comment moi je me positionne par rapport à ces questions, et il y a l’aspect pour les autres, comment je me comporte face à telle situation ou telle personne », explique Sébastien, en sixième année de formation. « L’affectivité est davantage traitée lors du premier cycle, pointe le recteur Vincent Siret. Les jeunes sont moins matures sur ces questions dans les premières années. » Le sujet du célibat fait partie des questions les plus largement soulevées. « Les garçons sont invités à se demander s’ils sont prêts à s’engager dans la voie du célibat toute leur vie, si le célibat représente un trop gros sacrifice pour eux, s’ils peuvent dépasser cette difficulté ou pas. Il s’agit de la phase de discernement », détaille le recteur Vincent Siret.
« Je me pose chaque jour la question du célibat, mais cela ne m’a jamais rendu triste, certaines filles peut-être… », affirme Charles, sourire aux lèvres. Grand brun vêtu d’un sweet à capuche, Charles a étudié en prépa hypokhâgne (Lettres supérieures) à Bordeaux, avant d’être sélectionné à Sciences-Po, puis de finalement décider d’entrer dans les ordres. « Ce n’est pas quelque chose qui m’a été imposé », insiste Emmanuel, en troisième année de formation. « J’ai senti l’appel à devenir prêtre avant le célibat, même si c’était au début très difficile pour moi », confie le jeune séminariste qui a été en couple pendant deux ans, avant d’entrer au séminaire, à 18 ans. Il ajoute : « J’ai choisi de me rendre totalement disponible aux autres ». Sébastien, 34 ans, relativise : « Nous sommes des êtres de chair, c’est normal que ces questions nous travaillent ».
Confession et pédophilie
Sur la pédophilie, « les intervenants nous apprennent ce que c’est, comment elle se manifeste, ce que dit le droit civil et le droit canonique », précise Sébastien. Le droit canonique, le corpus de textes de lois qui régit l’Eglise catholique, a souvent été décrié par les familles de victimes de pédophilie, en particulier au sujet de la confession. « Les intervenants nous apprennent à distinguer le secret de la confession, qui a un statut légal (En France, la confession relève du secret professionnel, ndlr) et ce qui est de l’ordre de la confidence », développe Emmanuel. « Dans le cas de la confidence, les prêtres peuvent saisir eux-même la justice. Mais dans le cas de la confession, il faut que nous poussions la personne à se dénoncer elle-même ».
Une déclaration qui interroge sur le contenu de la formation juridique dispensée aux futurs prêtres. Le code pénal français prévoit depuis 1992 que les sanctions prévues dans le cas de violation du secret professionnel ne s’appliquent pas dans les situations de sévices sur mineurs de moins de 15 ans. Autrement dit, un prêtre qui a vent d’une agression sexuelle exprimée lors d’une confession doit saisir la justice, sous peine d’être poursuivi pour non assistance à personne en danger. Il encourt jusqu’à cinq ans de prison.
Pourtant, même constat chez Sébastien. Pour lui, aucune dérogation possible au secret de la confession, inviolable aux yeux du code canonique. Il dispose : « Il est absolument interdit au confesseur de trahir en quoi que ce soit un pénitent, par des paroles ou d’une autre manière, et pour quelque cause que ce soit » (Droit canon, n° 983 § 1). Le prêtre dénonciateur encourt la peine d’excommunication, c’est à dire l’exclusion définitive de la communauté religieuse. La primauté des lois de la République sur le droit de l’Eglise, n’apparaît pas évidente aux yeux des futurs prêtres interrogés, bien que pour eux, « la prise de conscience a émergé ».
Le rapport aux jeunes
Les futurs prêtres sont également sensibilisés à la prise de distance vis-à-vis des jeunes. « Je ne me mets pas dans une salle seul avec un enfant, je fais en sorte que l’on me voit, qu’il y ait des fenêtres, que la porte reste ouverte, décrit Sébastien, ancien professeur d’Histoire-géographie, pour qui ces règles ne sont pas propres à l’Eglise : « Il y a cinquante ans les professeurs dormaient avec les élèves dans les dortoirs pendant les voyages scolaires. Aujourd’hui cela ne viendrait à l’idée de personne ». Ces notions sont également abordées lors de l’obtention obligatoire du BAFA (Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur), en vue d’animer les camps de jeunes. L’obtention du diplôme doit se faire avant la fin de la formation.
Les sessions théoriques sont suivies d’échanges avec les intervenants pendant lesquels les jeunes clercs peuvent poser des questions plus personnelles et bénéficier d’un retour d’expériences. « Les prêtres formateurs ne participent pas à ces sessions, ce qui nous donne une certaine liberté de parole », estime Sébastien. « On a la formation théorique, mais dans la pratique ce n’est jamais facile », s’ouvre Emmanuel. « Aurai-je le courage de ne pas être complice par le silence ? », se questionne l’Ardéchois à propos de cas de pédophilie. « On se dit qu’on ne reproduira pas les erreurs du passé, mais que se passera-t-il si c’est un ami ? Cela fait partie des questions que l’on peut poser. »
L’accompagnement spirituel
En dehors des sessions théoriques, les séminaristes sont suivis durant l’ensemble de leur formation par un « accompagnateur ou père spirituel », qu’ils rencontrent en moyenne trois fois par mois pendant une heure. « Ces entretiens sont de l’ordre de l’intime », développe Sébastien. « On peut parler de choses très personnelles dont on ne parlerait pas devant les autres : nos doutes vis-à-vis du célibat, ou aborder la question de la masturbation ». Ces accompagnateurs spirituels sont souvent des prêtres présents dans les séminaires dans lesquels ils étudient. Si la personne désignée ne leur convient pas, ils sont libres de demander à changer. « C’est comme pour un psychologue. On se confie donc il faut qu’une certaine confiance s’installe », continue Sébastien, ajoutant en riant « Au final, on parle plus de sexe dans les formations de prêtres que dans l’Education nationale ! ».
Avant l’ordination, un jury composé des formateurs vote afin de déterminer si le futur prêtre est apte à exercer ses fonctions. Parmi les critères, celui de la capacité à entrer en relation avec les autres. « On ne peut pas engager quelqu’un sur cette voie s’il n’a pas atteint une certaine maturité au niveau humain, assure le recteur Vincent Siret. Il faut qu’il y ait de l’équilibre dans la relation, dans la manière de se comporter avec les autres. Mais en général, les comportements déviants sont repérés plus tôt ». Les mois précédant le vote, une enquête est menée dans le plus grand secret. « Ils interrogent nos familles, nos amis, nos formateurs et toutes personnes dans notre entourage susceptibles de repérer une attitude suspecte », développe Sébastien, qui doit être ordonné en juin 2019. « Ils ont même interrogé un de mes anciens collègues dans le lycée dans lequel j’enseignais ! ».
L’accompagnateur spirituel fait parti du jury, mais il est tenu de garder le silence sur les confidences du prêtre en formation « afin de ne pas influencer le vote », dévoile Sébastien, qui justifie la pratique : « Dans une société dans laquelle tout doit être transparent, dans l’Église, nous avons conservé un espace dans lequel le secret a encore du sens ». Le séminariste tempère ensuite : « l’accompagnateur spirituel peut tout de même voter en défaveur de l’ordination en cas de doute sur l’équilibre mental du futur prêtre ». Malgré nos tentatives, nous n’avons toutefois pas pu obtenir de statistiques sur le nombre de séminaristes dont l’ordination a été refusée à l’issu du vote. Une fois ordonnés, les prêtres continuent d’être suivis par un père spirituel tout au long de leur vie. « On prend souvent quelqu’un extérieur à notre église, souligne Sébastien, par exemple un moine dans un monastère ».
Le master de l’Université grégorienne,
vitrine du Vatican
Le 5 octobre 2017, signe de la prise de conscience de l’Eglise, le Vatican a ouvert le premier master sur la protection des mineurs à l’Université grégorienne de Rome. « Ce master est unique au monde ! », s’enthousiasme Vincent Siret, recteur du séminaire français à Rome. Le but de la formation, « acquérir des compétences permettant de reconnaître, prévenir et éradiquer les abus commis contre les mineurs », écrit Vatican News, l’organe de presse de la papauté. Cette formation en deux années propose quatre spécialisations différentes : théologie, droit canonique, éducation et psychologie, psychothérapie. « Ce qui change avec cette école, c’est qu’elle forme des experts préparés aux réalités et compétents, en raison d’une formation plus longue que tout ce qui existait auparavant », explique karlijn Demasure, théologienne et ancienne directrice du Centre pour la protection des mineurs, dans la même université.
« Je crois que ce master va dans le bon sens pour aider à repérer les personnalités déviantes et pour anticiper les difficultés des victimes », estime le recteur Vincent Siret. Toutefois, le master ne compte que huit « étudiants », tous déjà dans les ordres depuis plusieurs années et possédant « une certaine expérience », indique karlijn Demasure, qui a participé au lancement de la formation. « Nous avions pensé à ouvrir le master à un plus large public, y compris à des laïques, mais la demande n’était pas là. Les personnes qui se sont manifestées étaient surtout des religieux et des religieuses », avance la théologienne.
Charles, Emmanuel et Sébastien, étudiants à l’université grégorienne de Rome, ont tous les trois entendu parler du master. Mais aucune possibilité pour eux d’y suivre des cours. « Nous avons déjà notre programme. Il faudrait que l’on puisse faire un double diplôme pour y avoir accès », fait savoir Charles. « Il ne s’agit pas de former des jeunes mais plutôt de former des formateurs », détaille karlijn Demasure. Envoie de mails, coups de téléphones, malgré notre insistance, impossible d’entrer en contact avec le directeur du master, Hans Zollner, et d’obtenir davantage d’informations sur ce master. Même tableau du côté des intervenants et des huit étudiants. Nous n’en saurons donc pas plus sur cette formation.
Un ordre établi peu remis en question
« Il n’y a pas d’instruction possible pour les criminels ! » s’exclame Pete Sanders, un Britannique d’une cinquantaine d’années. Abusé par un prêtre il y a quarante ans, Pete Sanders s’est rendu à Rome à l’occasion du sommet au Vatican sur la prévention des agressions sexuelles sur mineurs. « A l’époque où je souhaitais être prêtre, j’avais 10 ans et je ne comprenais pas pourquoi l’Eglise voulait m’imposer de rester célibataire toute ma vie », se livre ce père de cinq enfants. « Il faut que cette tyrannie de l’abstinence sexuelle cesse”. Selon lui, le célibat des prêtres est une des causes des abus sexuels dans l’Eglise. « Le mariage des prêtres, ne résoudrait rien », estime pourtant Charles, le jeune séminariste français. « La pédophilie est présente au sein des familles aussi. Un père sur ses enfants, un oncle… ». Le recteur Vincent Siret le confirme, au sujet du célibat,« l’ordre établi n’est pas remis en question parmi les jeunes séminaristes ».
« Il faut que les pleins pouvoirs des prêtres qui ont la mainmise sur toute une communauté religieuse cesse», assène Barbara Dorris, une Américaine abusée par un prêtre à plusieurs reprises lorsqu’elle avait 12 ans. «Il doit y avoir un partage des décisions avec les autres chrétiens de l’église et aussi les femmes ! ». « Tant que le pape ne traitera que des conséquences, sans s’occuper des racines des problèmes, rien ne changera ! », a. , insiste l’ancienne présidente du collectif « Réseau des survivants de ceux qui ont été abusés par les prêtres ». Ce pouvoir symbolique des prêtres, aussi nommé cléricalisme, a été dénoncé par le pape François dans une lettre adressé aux chrétiens en août 2018.
Mais du côté des futurs prêtres, Emmanuel, Charles et Sébastien restent nuancés. « Il est toujours dangereux de mettre le pouvoir dans les mains d’un seul homme », énonce Charles en bon élève. « Mais je trouve que les décisions sont partagées dans les églises. Les femmes sont autant sur le terrain que les clercs et la communauté de chrétiens assure le contrôle des prêtres ». Malgré la position de faiblesse de l’Église, dont les clochers sont de plus en plus désertés, il semble bien qu’il faille encore attendre quelques années, avant de voir le système ecclésial être repensé.