Ceci n'est pas une église.

Dieu n’habite plus ici

Enquête réal­isée et écrite par
Emi­lie Henny

À Rome, cer­taines églis­es ne sont plus des lieux de culte. Leurs murs accueil­lent désor­mais des activ­ités divers­es et var­iées. Com­merces, lieux cul­turels ou espaces de char­ité, ces usages pro­fanes ne plaisent pas tou­jours à l’Eglise.

Dans la petite Via dei Maroni­ti, proche de la Fontaine de Tre­vi au cen­tre de Rome, des pas­sants s’attardent devant une bâtisse. De l’étroite rue pavée, ils admirent le pla­fond riche­ment décoré de ce qu’il sem­ble être une église. Mais, passé le pas de la porte, une odeur de piz­za vient caress­er les nar­ines. Et des gens accoudés à table occu­pent le lieu. Ici, le restau­rant « Sacro e pro­fano » a investi une église dite « décon­sacrée ». A part le nom, elle n’a plus rien de sacré. Tous les signes religieux ont été retirés de la façade et un bar accueille la clien­tèle. Pour la pro­prié­taire du lieu, Ozana Ras­canu, l’histoire de ces murs est anec­do­tique. L’esprit religieux, elle n’en a que faire. Elle raille même les religieux qui passent le pas de sa porte à la recherche d’une atmo­sphère sacrée. La seule chose qui compte c’est « le poten­tiel com­mer­cial » qui l’a poussé à inve­stir l’ancien édi­fice en mai 2018, explique-t-elle, l’air pressé.

Le lieu de culte a d’abord été trans­for­mé en garage, puis en café avant de devenir un restau­rant en 1998. ©Emi­lie Henny

Du profane au religieux

A Rome, comme dans le reste de l’Italie, depuis la nation­al­i­sa­tion des biens de l’Église lors de l’u­ni­fi­ca­tion à la fin du XIXe siè­cle, de nom­breuses églis­es ont été ven­dues par l’Etat ou util­isées pour un usage non-religieux. Cette pra­tique réap­pa­raît avec la diminu­tion du nom­bre de catholiques en Ital­ie. En vingt ans, l’Église a per­du près d’un quart de ses pra­ti­quants assidus (ils ne sont plus que 25,6% en 2017 selon une étude du Com­mu­ni­ty Media Research pour le jour­nal ital­ien La Stam­pa). Et une église qui se vide, c’est la pre­mière étape vers une décon­sécra­tion des lieux.

Pour désacralis­er un lieu de culte, la procé­dure est sim­ple. L’évêque réu­nit un con­seil pres­bytéral avec les respon­s­ables de la paroisse pour acter l’absence de fidèles ou l’impossibilité d’entretenir les lieux. Il déclare alors une « Causa Grave » et édicte un décret de désacral­i­sa­tion. La suite est plus com­plexe. Car le choix du nou­v­el usage est du ressort du pro­prié­taire. En Ital­ie, l’Etat et le clergé se parta­gent la pro­priété des églis­es. Si l’Église n’est pas pro­prié­taire, l’État peut décider de la nou­velle affec­ta­tion du mon­u­ment, sou­vent au grand désar­roi du clergé. 

L’Église refuse de don­ner le chiffre exact de ces édi­fices désacral­isés mais, le restau­rant Sacro e Pro­fano à Rome ne fait pas fig­ure d’exception. Dans la cap­i­tale, plusieurs églis­es désacral­isées ont été ven­dues comme des locaux com­mer­ci­aux. Ce phénomène éten­du au reste du pays a inspiré Andrea di Mar­ti­no,  auteur du livre et de l’exposition pho­tographiques “La Messe est finie”. « Pen­dant cinq ans, j’ai par­cou­ru tout mon pays à la recherche de ces lieux détournés à pho­togra­phi­er », racon­te l’artiste.

De Milan où une anci­enne église abrite aujourd’hui la dis­cothèque Il Gat­topar­do (Le Gué­pard), un lieu incon­tourn­able de la vie noc­turne milanaise à Aquila et son édi­fice religieux trans­for­mé en théâtre, en pas­sant par le garage auto­mo­bile instal­lé dans l’ancienne église Madon­na del­la Neve à Como. 

Éviter les destinations “sordides”

Ces change­ments d’usage des lieux religieux représen­tent tout ce que l’Église ne souhaite pas. L’usage com­mer­cial de ces anci­ennes églis­es est assim­ilé à « des réduc­tions sor­dides qui ne respectent pas ces lieux sacrés », déplore Mgr Fab­rizio Capan­ni, chargé du Pat­ri­moine auprès du Con­seil Pon­tif­i­cal de la Cul­ture au Vatican.

« S’il n’est pas pos­si­ble de con­serv­er un lieu de culte, il est recom­mandé de lui en don­ner un autre usage religieux »

Le clergé ne peut plus ignor­er le con­stat actuel : les églis­es sont dev­enues trop nom­breuses par rap­port au nom­bre des fidèles. Pour mieux appréhen­der le devenir des églis­es désaf­fec­tées, le Vat­i­can a organ­isé une con­férence inter­na­tionale, en novem­bre dernier. Après deux jours de tra­vail, les autorités religieuses ont pub­lié des recom­man­da­tions sur la des­ti­na­tion de ces mon­u­ments aban­don­nés et voués à la désacral­i­sa­tion. « S’il n’est pas pos­si­ble de con­serv­er un lieu de culte, il est recom­mandé de lui en don­ner un autre usage religieux, d’en faire don à d’autres com­mu­nautés chré­ti­ennes, indique le chargé du Pat­ri­moine du Vat­i­can. Sinon d’avoir un usage com­pat­i­ble avec la des­ti­na­tion orig­inelle. C’est-à-dire cul­turel ou de char­ité ».

Préserver le caractère sacré des lieux

C’est le cas de l’église décon­sacrée de San Celsi­no dans le quarti­er de la Ponte à Rome. Le mon­u­ment a longtemps accueil­li un cen­tre de Car­i­tas, l’équivalent du sec­ours Catholique en France. Aujourd’hui, les lieux sont affec­tés à la com­mu­nauté catholique érythréenne. 

L’église de San Celsi­no a été décon­sacrée faute de fidèles. ©Emi­lie Henny

Dans l’église de San Celsi­no, il est dif­fi­cile de croire que le lieu est décon­sacré. Une énorme croix en bois orne tou­jours le mur de l’édifice. Mais ici, depuis les années 80, il n’y a plus une seule messe. L’autel et les bancs en bois ont été rem­placés par des chais­es empilées et une table en formi­ca. Les ther­mos de café, la vais­selle empilée et quelques den­rées entassés dans un coin de la pièce lais­sent devin­er le change­ment de des­ti­na­tion des lieux. Ici, « c’est vrai, ce n’est plus une église mais l’esprit spir­ituel est tou­jours là puisqu’il y a encore de l’activité pas­torale comme du catéchisme, des retraites spir­ituelles ou des réu­nions de la com­mu­nauté », explique le père Méhari, le respon­s­able éry­thréen des lieux.

Le père Méhari regrette que cer­taines églis­es soient trans­for­mées en com­merce. Pour lui, cela mon­tre le déclin du catholi­cisme en Europe. ©Emi­lie Henny

La for­mule a déjà trou­vé ses lim­ites en Ital­ie. En 2018, la mise en vente par la région Lom­bardie de l’église décon­sacrée de l’hôpital de Bergame, a fait polémique. Les acquéreurs, une asso­ci­a­tion musul­mane, voulaient la trans­former en mosquée. Une déci­sion con­testée par la com­mu­nauté catholique locale et les autorités poli­tiques, qui blo­quent encore le pro­jet. Le change­ment d’affectation n’est donc pas tou­jours une mince affaire et se heurte à l’attachement affec­tif des com­mu­nautés chré­ti­ennes aux lieux. « Quand un évêque décide de fer­mer une église, il y a sou­vent une résis­tance de la com­mu­nauté car il y a un réel lien affec­tif avec les lieux spir­ituels », jus­ti­fie Fab­rizio Capanni.

Valoriser l’héritage culturel

L’autre option accept­able pour l’Église est l’utilisation cul­turelle d’une église décon­sacrée. A Venise, la ques­tion de la des­ti­na­tion de trente églis­es décon­sacrées s’est récem­ment posée. Et c’est finale­ment l’Université de la ville qui s’en est emparée pour con­stituer un pro­jet de val­ori­sa­tion cul­turelle autour de ces mon­u­ments, rap­porte le Vatican.

Dans la cap­i­tale, le min­istère de la cul­ture ital­ien a demandé au min­istère de l’intérieur – qui a la respon­s­abil­ité de plus de 7000 églis­es en Ital­ie depuis la nation­al­i­sa­tion des biens — de récupér­er la ges­tion de l’église décon­sacrée de San­ta Mar­ta. Ces lieux ont été le théâtre de nom­breuses trans­for­ma­tions. Après avoir abrité une loge maçon­nique puis avoir servi d’entrepôt mil­i­taire pen­dant l’invasion napoléoni­enne, l’église a été réqui­si­tion­née par l’État, désacral­iséee et affec­tée aux archives du com­mis­sari­at de police adja­cent. « Dans cet espace s’entassaient des piles et des piles de dossiers. On ne pou­vait même plus dis­tinguer la richesse cul­turelle du lieu », déplore Donatelle Caveza­l­li, archi­tecte du min­istère de la Cul­ture à l’Institut Supérieur pour la Con­ser­va­tion et la Restau­ra­tion (ISCR).

San­ta Mar­ta était un cou­vent de nonnes qui accueil­laient des femmes de la rue qui ne pou­vaient pas se mari­er faute de dote. ©Emi­lie Henny

Mais, depuis deux ans, le mon­u­ment réha­bil­ité accueille un « open lab » de restau­ra­tion d’œuvres d’art. Au cen­tre de l’église, un groupe d’une quin­zaine de per­son­nes écoutent religieuse­ment l’architecte de l’ISCR. Puis, se pressent dans la salle voi­sine où sont exposées des mil­liers de frag­ments d’une fresque romaine (I av. J.-C.) en cours de réno­va­tion. Une réaf­fec­ta­tion des lieux réussie pour la restau­ra­trice puisqu’elle val­orise l’héritage cul­turel du pat­ri­moine de la ville.

Dans l’an­cien réfec­toire des nonnes Augustines, l’IS­CR a instal­lé un ate­lier de réno­va­tion d’oeu­vres d’art. ©Emi­lie Henny

A Rome, c’est la valeur cul­turelle du Pan­théon, aujourd’hui encore lieu de culte, qui pousse les autorités religieuses à réfléchir à sa décon­sécra­tion. « Cet ancien tem­ple romain chris­tian­isé ressem­ble davan­tage à un musée. Les gens ne vien­nent plus pour le spir­ituel mais pour faire du tourisme », explique le recteur de l’église de Saint-Louis des Français à Rome, Mgr François Bous­quet. Puis, pour lui, faire une messe dans ce lieu n’est « vrai­ment pas pra­tique » et « avec ses 400 églis­es dans le cen­tre his­torique, Rome peut se pass­er de ce lieu en tant qu’église. »

Conserver son patrimoine 

Les églis­es décon­sacrées ne sont donc pas toutes vouées aux mêmes usages et c’est « Caso per Caso (au cas par cas) » que cela se décide. L’État favorise la con­ser­va­tion cul­turelle des lieux. « La vente des églis­es inutil­isées représente une chance de don­ner une sec­onde vie à ces mon­u­ments », relate Andrea di Mar­ti­no. De son périple pho­tographique, il retient l’en­t­hou­si­asme des habi­tants des petites villes face à la trans­for­ma­tion de leurs églis­es, autre­fois, aban­don­nées. Un argu­ment que l’Eglise refuse. « Nous voulons éviter la vente de ces mon­u­ments », insiste le chargé du pat­ri­moine au Vat­i­can. Con­serv­er son pat­ri­moine reste le meilleur moyen pour l’Eglise de garder le con­trôle de l’usage de ses édi­fices. Une tâche de plus en plus dif­fi­cile en Europe, où le nom­bre d’églises inutil­isées ne cesse d’augmenter.

À propos de Giorni

Giorni est le site de la 73ème pro­mo­tion du CFJ en voy­age à Rome.

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