À Rome, certaines églises ne sont plus des lieux de culte. Leurs murs accueillent désormais des activités diverses et variées. Commerces, lieux culturels ou espaces de charité, ces usages profanes ne plaisent pas toujours à l’Eglise.
Dans la petite Via dei Maroniti, proche de la Fontaine de Trevi au centre de Rome, des passants s’attardent devant une bâtisse. De l’étroite rue pavée, ils admirent le plafond richement décoré de ce qu’il semble être une église. Mais, passé le pas de la porte, une odeur de pizza vient caresser les narines. Et des gens accoudés à table occupent le lieu. Ici, le restaurant « Sacro e profano » a investi une église dite « déconsacrée ». A part le nom, elle n’a plus rien de sacré. Tous les signes religieux ont été retirés de la façade et un bar accueille la clientèle. Pour la propriétaire du lieu, Ozana Rascanu, l’histoire de ces murs est anecdotique. L’esprit religieux, elle n’en a que faire. Elle raille même les religieux qui passent le pas de sa porte à la recherche d’une atmosphère sacrée. La seule chose qui compte c’est « le potentiel commercial » qui l’a poussé à investir l’ancien édifice en mai 2018, explique-t-elle, l’air pressé.
Du profane au religieux
A Rome, comme dans le reste de l’Italie, depuis la nationalisation des biens de l’Église lors de l’unification à la fin du XIXe siècle, de nombreuses églises ont été vendues par l’Etat ou utilisées pour un usage non-religieux. Cette pratique réapparaît avec la diminution du nombre de catholiques en Italie. En vingt ans, l’Église a perdu près d’un quart de ses pratiquants assidus (ils ne sont plus que 25,6% en 2017 selon une étude du Community Media Research pour le journal italien La Stampa). Et une église qui se vide, c’est la première étape vers une déconsécration des lieux.
Pour désacraliser un lieu de culte, la procédure est simple. L’évêque réunit un conseil presbytéral avec les responsables de la paroisse pour acter l’absence de fidèles ou l’impossibilité d’entretenir les lieux. Il déclare alors une « Causa Grave » et édicte un décret de désacralisation. La suite est plus complexe. Car le choix du nouvel usage est du ressort du propriétaire. En Italie, l’Etat et le clergé se partagent la propriété des églises. Si l’Église n’est pas propriétaire, l’État peut décider de la nouvelle affectation du monument, souvent au grand désarroi du clergé.
L’Église refuse de donner le chiffre exact de ces édifices désacralisés mais, le restaurant Sacro e Profano à Rome ne fait pas figure d’exception. Dans la capitale, plusieurs églises désacralisées ont été vendues comme des locaux commerciaux. Ce phénomène étendu au reste du pays a inspiré Andrea di Martino, auteur du livre et de l’exposition photographiques “La Messe est finie”. « Pendant cinq ans, j’ai parcouru tout mon pays à la recherche de ces lieux détournés à photographier », raconte l’artiste.
#Fotonoviembre presenta en el #MNH la obra de @a_di_martino «La misa ha terminado». Hasta el 15 de diciembre. pic.twitter.com/Qbqp2PpswW
— Museos de Tenerife (@MuseosTenerife) November 24, 2015
De Milan où une ancienne église abrite aujourd’hui la discothèque Il Gattopardo (Le Guépard), un lieu incontournable de la vie nocturne milanaise à Aquila et son édifice religieux transformé en théâtre, en passant par le garage automobile installé dans l’ancienne église Madonna della Neve à Como.
Éviter les destinations “sordides”
Ces changements d’usage des lieux religieux représentent tout ce que l’Église ne souhaite pas. L’usage commercial de ces anciennes églises est assimilé à « des réductions sordides qui ne respectent pas ces lieux sacrés », déplore Mgr Fabrizio Capanni, chargé du Patrimoine auprès du Conseil Pontifical de la Culture au Vatican.
« S’il n’est pas possible de conserver un lieu de culte, il est recommandé de lui en donner un autre usage religieux »
Le clergé ne peut plus ignorer le constat actuel : les églises sont devenues trop nombreuses par rapport au nombre des fidèles. Pour mieux appréhender le devenir des églises désaffectées, le Vatican a organisé une conférence internationale, en novembre dernier. Après deux jours de travail, les autorités religieuses ont publié des recommandations sur la destination de ces monuments abandonnés et voués à la désacralisation. « S’il n’est pas possible de conserver un lieu de culte, il est recommandé de lui en donner un autre usage religieux, d’en faire don à d’autres communautés chrétiennes, indique le chargé du Patrimoine du Vatican. Sinon d’avoir un usage compatible avec la destination originelle. C’est-à-dire culturel ou de charité ».
Préserver le caractère sacré des lieux
C’est le cas de l’église déconsacrée de San Celsino dans le quartier de la Ponte à Rome. Le monument a longtemps accueilli un centre de Caritas, l’équivalent du secours Catholique en France. Aujourd’hui, les lieux sont affectés à la communauté catholique érythréenne.
Dans l’église de San Celsino, il est difficile de croire que le lieu est déconsacré. Une énorme croix en bois orne toujours le mur de l’édifice. Mais ici, depuis les années 80, il n’y a plus une seule messe. L’autel et les bancs en bois ont été remplacés par des chaises empilées et une table en formica. Les thermos de café, la vaisselle empilée et quelques denrées entassés dans un coin de la pièce laissent deviner le changement de destination des lieux. Ici, « c’est vrai, ce n’est plus une église mais l’esprit spirituel est toujours là puisqu’il y a encore de l’activité pastorale comme du catéchisme, des retraites spirituelles ou des réunions de la communauté », explique le père Méhari, le responsable érythréen des lieux.
La formule a déjà trouvé ses limites en Italie. En 2018, la mise en vente par la région Lombardie de l’église déconsacrée de l’hôpital de Bergame, a fait polémique. Les acquéreurs, une association musulmane, voulaient la transformer en mosquée. Une décision contestée par la communauté catholique locale et les autorités politiques, qui bloquent encore le projet. Le changement d’affectation n’est donc pas toujours une mince affaire et se heurte à l’attachement affectif des communautés chrétiennes aux lieux. « Quand un évêque décide de fermer une église, il y a souvent une résistance de la communauté car il y a un réel lien affectif avec les lieux spirituels », justifie Fabrizio Capanni.
Valoriser l’héritage culturel
L’autre option acceptable pour l’Église est l’utilisation culturelle d’une église déconsacrée. A Venise, la question de la destination de trente églises déconsacrées s’est récemment posée. Et c’est finalement l’Université de la ville qui s’en est emparée pour constituer un projet de valorisation culturelle autour de ces monuments, rapporte le Vatican.
Dans la capitale, le ministère de la culture italien a demandé au ministère de l’intérieur – qui a la responsabilité de plus de 7000 églises en Italie depuis la nationalisation des biens — de récupérer la gestion de l’église déconsacrée de Santa Marta. Ces lieux ont été le théâtre de nombreuses transformations. Après avoir abrité une loge maçonnique puis avoir servi d’entrepôt militaire pendant l’invasion napoléonienne, l’église a été réquisitionnée par l’État, désacraliséee et affectée aux archives du commissariat de police adjacent. « Dans cet espace s’entassaient des piles et des piles de dossiers. On ne pouvait même plus distinguer la richesse culturelle du lieu », déplore Donatelle Cavezalli, architecte du ministère de la Culture à l’Institut Supérieur pour la Conservation et la Restauration (ISCR).
Mais, depuis deux ans, le monument réhabilité accueille un « open lab » de restauration d’œuvres d’art. Au centre de l’église, un groupe d’une quinzaine de personnes écoutent religieusement l’architecte de l’ISCR. Puis, se pressent dans la salle voisine où sont exposées des milliers de fragments d’une fresque romaine (I av. J.-C.) en cours de rénovation. Une réaffectation des lieux réussie pour la restauratrice puisqu’elle valorise l’héritage culturel du patrimoine de la ville.
A Rome, c’est la valeur culturelle du Panthéon, aujourd’hui encore lieu de culte, qui pousse les autorités religieuses à réfléchir à sa déconsécration. « Cet ancien temple romain christianisé ressemble davantage à un musée. Les gens ne viennent plus pour le spirituel mais pour faire du tourisme », explique le recteur de l’église de Saint-Louis des Français à Rome, Mgr François Bousquet. Puis, pour lui, faire une messe dans ce lieu n’est « vraiment pas pratique » et « avec ses 400 églises dans le centre historique, Rome peut se passer de ce lieu en tant qu’église. »
Conserver son patrimoine
Les églises déconsacrées ne sont donc pas toutes vouées aux mêmes usages et c’est « Caso per Caso (au cas par cas) » que cela se décide. L’État favorise la conservation culturelle des lieux. « La vente des églises inutilisées représente une chance de donner une seconde vie à ces monuments », relate Andrea di Martino. De son périple photographique, il retient l’enthousiasme des habitants des petites villes face à la transformation de leurs églises, autrefois, abandonnées. Un argument que l’Eglise refuse. « Nous voulons éviter la vente de ces monuments », insiste le chargé du patrimoine au Vatican. Conserver son patrimoine reste le meilleur moyen pour l’Eglise de garder le contrôle de l’usage de ses édifices. Une tâche de plus en plus difficile en Europe, où le nombre d’églises inutilisées ne cesse d’augmenter.