Les médias traditionnels italiens (Rai, presse quotidienne) sont en première ligne pour attiser les tensions entre Paris et Rome.
C’est à un bien étrange reportage que les téléspectateurs de la Rai 2 ont été confrontés le 8 février 2019, en pleine crise diplomatique suite au rappel de l’ambassadeur français en Italie la veille. Pendant près d’une minute trente, Milena Pagliaro, une journaliste de la rédaction de la télévision publique italienne, décrit la France et les Français. Ou plutôt, aligne tout un tas d’attaques sur la population française. Sous les images de la Tour Eiffel, de l’Arc de Triomphe, de Notre-Dame de Paris, ou des quais de Seine, la journaliste commence ainsi : « Avec une pointe d’acidité, ils nous le répètent depuis des années, “Ah les Italiens !” En soi, ce n’est pas une insulte mais cela caractérise un état d’esprit de supériorité » afin de « nous remettre à notre place, c’est à dire, un pas en arrière ». Elle évoque une « antipathie soudaine » des Français envers les Italiens avant d’analyser la présidence d’Emmanuel Macron. De son élection « à 40 ans, avec un ego important » en mai 2017, elle décrit ensuite la situation politique actuelle où « la popularité du président touche le plus bas, il parle à l’élite, oublie la classe moyenne et la laisse pauvre, à commencer par les gilets jaunes ». Selon elle, « les rapports (franco-italiens) n’ont jamais été aussi tendus sauf sous Napoléon et en 2006 avec la Coupe du monde ». Et le reportage se conclut par… le coup de boule de Zidane en 2006 puis la victoire de la coupe du monde par l’Italie suivie de ce commentaire « Ah les Italiens ! »
Sur le compte Twitter de l’émission, équivalent du journal télévisé français, de nombreux messages ont afflué pour dénoncer un service public « ridicule », comparable à « celui de la Corée du Nord ». Les Français qui ont vu ce reportage, ont, eux aussi, été surpris. Antoine Arel, représentant de La Réplique En Marche pour l’Europe du Sud, avoue avoir été stupéfait : « Je ne m’attendais pas à un truc comme ça de la part de la télévision publique ». Pour Sandro Gozi, ex-secrétaire d’Etat italien aux affaires européennes, c’est « un reportage terrible », « du jamais-vu ». « Sidéré », il dénonce : « une tentative de manipuler l’opinion publique ». Philippe Ridet, grand reporter pour Le Monde et ancien correspondant à Rome, assure avoir déjà connu ce french-bashing dans le passé. Avant ce reportage, la RAI 2 avait diffusé en novembre 2018 un sujet de onze minutes sur le franc CFA. En filigrane, une France néocolonialiste, suspectée de maintenir des pays africains dans la pauvreté.
Malgré l’influence grandissante des réseaux sociaux et d’Internet, le gouvernement se concentre sur la télévision. Cela n’a rien d’étonnant puisque « la télévision a un rôle important dans les médias, chaque foyer italien en possède une », développe Marinella Belluati. « L’information, et la capacité d’influence restent concentrés dans la télévision et dans la presse. »
La presse écrite, justement, est une presse d’opinion. Elle se caractérise par une politisation plus forte qu’en France. Un proche du quai d’Orsay le regrette : « Toute la presse, qu’elle soit nationale ou régionale, se caractérise par un patriotisme fervent. » Des journaux reconnus aux tabloïds, les sujets anti-français semblent faire recette, comme l’affirme cette source diplomatique : « Notre pays a fait l’objet d’attaques. C’est vendeur, les médias vendent. La France fait vendre. Vous tapez sur la France, ça marche. »
Cette offensive contre la France s’installe durablement dans les médias. L’arrivée au pouvoir de Matteo Salvini (Ligue, extrême droite) et Luigi Di Maio (M5S, populiste) a marqué une escalade dans la politisation des médias. Le nouveau directeur de la Rai, Marcello Foa, a été nommé en septembre dernier. Sa candidature avait été présentée par Matteo Salvini et acceptée par le Parlement. Cet ancien journaliste de Il Giornale, propriété de la famille Berlusconi, Marcello Foa, s’est fait aussi remarquer par son souverainisme, ses propos sexistes, ses fausses informations et ses prises de positions en faveur de Vladimir Poutine. Cette politisation est rendue possible par le fonctionnement du service public italien unique au monde. Les trois chaînes de la Rai – Rai 1, Rai 2 et Rai 3 – représentent une couleur politique, décidée par le Parlement italien. La Rai 1 pour le centre, la Rai 2 pour la droite et la Rai 3 pour la gauche. Selon Marinella Belluati, professeur au Département de la culture, de la politique et de la société de l’université de Turin et spécialiste des médias italiens, « maintenant, la Ligue et le Mouvement 5 étoiles orientent chaque décision du service public. » Conséquence : cette tendance à attiser les critiques contre la France sont « plutôt le reflet de la vie politique que celle des journalistes ».
Du côté des rédactions, cette tendance provocatrice est assumée. Stefano Feltri, le rédacteur en chef adjoint du quotidien Il fatto quotidiano, proche du Mouvement 5 étoiles, dont la diffusion journalière se situe à 45 000 exemplaires, explique cet intérêt pour la France : « Nous couvrons la France beaucoup beaucoup plus que l’Allemagne, l’Espagne ou un autre pays. Si on compare avec les pays européens, la France est celui qu’on connaît le plus parce que c’est plus près, parce que les Italiens n’aiment pas les Français, qui essaient toujours de nous avoir d’une manière ou d’une autre. »
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Ce « patriotisme fervent » de la presse prend parfois la forme d’extrapolations. « Dès que Macron dit quelque chose qui peut être mal interprété, [les médias et les personnalités politiques] l’interprète[nt] mal, regrette Antoine Arel. Il y a un usage des petites phrases incroyables. » Par exemple, lorsque « Macron avait parlé de “lèpre nationaliste” sans citer spécifiquement l’Italie. C’était un constat général où ça aurait pu parler de la Hongrie, la Pologne…» Pourtant, la presse italienne avait pointé une attaque directe contre son pays.
En plus de la presse généraliste, il y a bien sûr aussi la presse nationaliste habituée de l’exercice. Comme Il Giornale, Libero ou encore le journal d’extrême droite La Vérità pour qui taper sur la France est un fonds de commerce. Exemple récent, la remise en cause d’un accord permettant à la France de se voir prêter de nombreuses oeuvres de Léonard De Vinci à l’occasion des cinq cents ans de la mort de l’artiste. La Verità titre : « Choc du refus italien aux requêtes du Louvre d’avoir les oeuvres primées pour la grande exposition 2019 ». La position du journal est claire: « C’est un vice des cousins transalpins de prendre nos affaires et de les vendre pour les leurs. Regardez Mona Lisa. » Ce n’est pas la première fois que le journal utilise ce ton pour parler de la France. En octobre 2018, il titrait « La France nous a envahit 26 fois en deux jours », reprochant une ingérence des gendarmes français aux frontières franco-italiennes.
Ces attaques systématiques ne se retrouvent pas de l’autre côté des Alpes. Du moins jusqu’au 7 février dernier. Ce jour-là, le talkshow Quotidien lançait en début d’émission un appel, peu repris par la presse italienne, clamé en italien par Yann Barthès. « Ceci est un message pour les jeunes Italiens qui nous regardent et qui apprennent le français. Vous avez un gouvernement un peu bizarre. […] Nous aimons l’Italie, nous aimons les Italiens, on est voisins, on vous embrasse ». Avant de conclure, toujours en italien : « Une bise à tous. Enfin, sauf les gros populistes connards. Bah oui… faut pas non plus exagérer. »
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