Benoît XVI « homme le plus élégant du monde ». Ce classement de la revue américaine Esquire en 2016 rompt avec le voeu de pauvreté que chaque religieux prononce avant d’entrer dans les ordres. A Rome, les rues regorgent de boutiques de vêtements ecclésiastiques. De la très chic maison de couture Gammarelli aux enseignes de souvenirs religieux estampillés made in China, entrée dans le business de l’habit religieux.
« Tu trouves ton bonheur Benoît ? », lance un homme d’une quarantaine d’années, vêtu d’une chemise noire surmontée du traditionnel col romain, signe de son appartenance au clergé catholique.
En ce début de matinée ensoleillée à Rome, trois religieux français sont venus faire leur « shopping » chez Barbiconi. Une des nombreuses boutiques romaines spécialisées dans la vente de vêtements ecclésiastiques, située en plein coeur de la capitale italienne et à quelques encablures de la fontaine de Trevi.
Auparavant vicaire général du diocèse de Nantes, Monseigneur Benoît Bertrand vient tout juste d’être nommé évêque de Mende par le pape François. « Je viens chercher ma nouvelle panoplie », sourit-il, en choisissant une calotte violette, réservée aux évêques. Pour chaque nouveau trousseau, ce n’est pas les religieux qui payent la facture, mais bien la communauté religieuse ou le diocèse auquel ils se rattachent. « Un budget prévisionnel est mis en place pour le culte », explique Père Jean-Bernard, prêtre français au sein d’une communauté catholique à Ariccia, à 30 kilomètres de Rome.
Chez Barbiconi, cinq vendeurs en tenue de ville et baskets au pied s’affairent afin de satisfaire des clients pas comme les autres. Cardinaux, archevêques, évêques, prêtres ou encore séminaristes, chacun peut trouver ici son habit en fonction de son statut. Mais il est moins question d’élégance que de codes religieux bien précis, établis par la liturgie catholique . « Il y a quatre couleurs liturgiques, le blanc, le rouge, le violet, le vert et l’or. Chacune correspond à un temps précis du calendrier liturgique », précise Père Jean-Bernard.
Entre 290 et 2960 euros les chasubles chez Barbiconi
Dans la partie gauche du magasin Barbiconi, des chasubles sont suspendues dans des armoires en bois ouvertes. Vêtement traditionnel porté par le prêtre pendant la messe, la chasuble ne peut être que violette, rouge, blanche ou verte. Chez Barbiconi, son prix oscille entre 290 euros et 2960 euros, selon le style choisi, le tissu utilisé, l’ornement brodé…
Barbiconi, De Ritis, Mare Statue, Euroclero, Ghezzi, Vincenzo Serpone… Les boutiques de vêtements ecclésiastiques sont si nombreuses à Rome qu’il est difficile d’en tenir le compte exact. Rien que dans la rue Borgo Pio, située juste derrière la basilique Saint-Pierre, huit commerces se disputent le marché. Euranio Mancinelli est installé depuis 1983 au début de la rue. Tailleur de métier et originaire de Milan, il a rapidement perçu dans l’habillement ecclésiastique un marché lucratif à Rome.
« Beaucoup de hauts dignitaires du Vatican viennent se fournir chez nous », explique Laura Mancinelli, la fille d’Euranio, qui travaille avec lui. Parmi les rosaires, calices et autres soutanes, des photographies d’Euranio posant avec Benoît XVI ou Jean-Paul II sont affichées sur les murs. « J’ai connu trois Papes », précise-t-il fièrement. « La croix que porte le pape François vient de chez nous, il l’a depuis qu’il a été ordonné évêque », ajoute Laura Mancinelli.
Mais la référence en matière d’habit ecclésiastique reste la très chic maison Gammarelli. Pour la petite histoire, Gammarelli est connue en France car elle vend également aux laïcs de luxueuses chaussettes rouges en fil d’Ecosse, très appréciées par un certain… François Fillon.
L’institution historique est située à deux pas du Panthéon. Fondée en 1798, elle est le prestataire officiel du souverain pontife le jour de son élection. Et dès le seuil de la porte franchi, la différence avec les autres boutiques saute aux yeux. Les trois vendeurs, en costume cravate, accueillent chaque client par un « Bienvenue chez Gammarelli » d’un ton convenu. Ici, tout paraît comme si rien n’avait été changé depuis deux siècles. L’architecture est ancienne, constituée majoritairement de bois, ce qui contribue à créer une atmosphère d’un autre temps. Depuis sa création, la maison est restée dans la famille Gammarelli. Encore aujourd’hui, trois frères Gammarelli, Massimiliano, Stefano Paolo et Lorenzo, tous trois la quarantaine, en sont les propriétaires.
La renommée de la boutique se fonde surtout sur la qualité de ses vêtements. « Tout est fait sur-mesure et à la main », souligne Lorenzo Gammarelli. Sur les prix pratiqués, l’héritier botte en touche : « Chez Gammarelli, on ne parle pas de prix. »
Pourtant, c’est bien cette question qui fait jaser. Lorsqu’il devient évêque, un prélat doit débourser en moyenne 2 500 euros. Pour un pape, la facture peut dépasser les 50.000 euros, s’il opte par exemple pour une crosse incrustée de pierreries.
Econome et de nature simple, le pape François a lui pris ses distances avec la maison Gammarelli. Même si en 2013, lors de sa première apparition à la fenêtre du Vatican, il était habillé de pied en cap par la maison romaine, il avait néanmoins refusé de porter la mosette, courte cape de velours rouge bordée d’hermine préparée pour l’événement.
Dans les établissements moins hauts de gamme, les prix sont affichés ostensiblement sur les étiquettes. Chez Euroclero, situé en plein coeur du Vatican, en face de la place Saint-Pierre, les prix varient entre 55 et 335 euros pour une chasuble. « Tous nos fournisseurs sont italiens », précise Francesco Cattaneo, qui dirige l’affaire avec sa soeur Cristina et son frère Roberto. Mais au deuxième étage du magasin, dans la partie réservée au personnel, un atelier de couture est installé pour les clients souhaitant du sur-mesure.
À la caisse, Père Antoine* fait sa commande. « Je viens vous prendre une chemise blanche, deux chemises noires, et des boutons de manchette », énonce t‑il en français au vendeur. Originaire de la paroisse Saint-Jean de Bray, près d’Orléans, le prêtre se fournit uniquement chez Euroclero. « C’est deux fois moins cher qu’en France pour la même qualité, je cherche juste à ce que ce soit simple mais beau en même temps », explique-t-il.
Père Antoine, soucieux de ne pas dilapider le budget de sa paroisse, confesse même avoir recours à Internet pour se fournir : « Pour les chasubles, qui peuvent monter jusqu’à 1500 euros, je les achète sur un site polonais qui proposent des produits à bas prix. »
Une preuve que même le vêtement ecclésiastique n’échappe pas à la mode du e‑commerce. Chez Euroclero, Francesco ne cache pas que la période est compliquée pour tout le monde. Mais la boutique, forte de sa localisation idéale, à deux pas de la place Saint-Pierre, a trouvé un moyen de combler le déficit. « Nous avons commencé à proposer des articles pour les touristes au début des années 2000 », détaille Francesco, alors qu’un groupe de touristes chinois s’émerveille devant les nombreux chapelets exposés. Dans la rue Borgo Pio, une modeste enseigne propose même des souvenirs religieux Made in China. À l’intérieur, entre des photos kitsch du pape François et des boules à neige, sont accrochées maladroitement des chasubles de prêtre, d’un rouge pétant. 15 euros l’unité.
Une crise religieuse
Pour Laura Mancinelli, la crise est aussi religieuse : « Il y a de moins en moins de prêtres qui s’engagent, donc forcément moins de clients. » Selon une étude IFOP de 2016, le nombre de prêtres catholiques en France a presque été divisé par deux en vingt ans, passant de 29.000 en 1995 à environ 15.000 en 2015 (ils sont environ 400.000 dans le monde).
Mais quel que soit le magasin où il a été acheté, le vêtement religieux a une importance symbolique pour tout ecclésiastique. « Ce n’est pas de la coquetterie, cela n’a rien à voir avec Roma de Fellini », considère Monseigneur Bousquet, recteur de la paroisse Saint-Louis des Français de Rome, en référence à la scène du film du réalisateur italien dans lequel des ecclésiastiques font un défilé de mode.
Les vitrines des boutiques de vêtements religieux ne cessent d’ailleurs de l’étonner : « On expose des chasubles comme on exposerait une robe de mariée, je trouve cela bizarre. » Même si le prélat réfute toute idée d’élégance ecclésiastique, il concède des goûts différents en fonction de chacun : « Il y a quand même des tendances extrêmement sobres et d’autres au contraire, qui aiment bien que leurs vêtements soient ornés de manière très riche, à la façon des Jésuites. »
A Saint-Louis des Français, la sacristie de l’église abonde de pièces anciennes, dont certaines sont toujours portées lors d’occasions spéciales. « Nous avons des chasubles ou étoles qui datent du XVIIIème siècle, nous n’avons pas besoin d’acheter régulièrement car nous disposons d’une belle collection », détaille Monseigneur Bousquet. Et d’ajouter : « Pour Noël, je revêts les plus beaux ornements. »
Pour Père Gabriele, prêtre américain au sein de la communauté d’Ariccia, « rien n’est assez beau pour Jésus, pour le sacré ». « Tout ce qu’on porte c’est pour représenter Jésus, nous devons incarner la dignité », ajoute-t-il.
Le prêtre insiste également sur le fait que cela n’a rien à voir avec un plaisir personnel : « Lorsque je revêts un bel ornement, c’est pour Dieu que je le fais, et pas pour moi. Les vêtements n’appartiennent pas à la personne de l’ecclésiastique, ils appartiennent à la communauté. »
Concernant les prix pratiqués par certaines maisons qui peuvent être élevés, Père Gabriele opte pour la modération : « Je ne mettrais jamais 1000 euros pour une chasuble car c’est l’argent de la communauté qui vient des fidèles. »
Capitaliser sur la foi des fidèles. C’est le cas de conscience que s’est posé Enrico, gérant du magasin Mar Statue Sacre, lorsqu’il a repris l’enseigne, en héritage de sa mère. « Lorsque j’en ai parlé à ma mère, elle m’a répondu : “tu manges tous les jours, tu dois payer pour te nourrir. C’est pareil pour les religieux : s’habiller est un besoin “. »
(*) Le prénom a été modifié.