À Rome, la ligne C du métro est un sujet de discussion sans fin. La ligne a été dessinée il y a vingt ans. Mais sa construction n’a toujours pas abouti. Les découvertes archéologiques faites lors des forages et leur valorisation expliquent en partie le retard accumulé. Mais la gestion globale de la construction a ses propres lacunes.
« Nous avons tellement de ruines que parfois nous ne savons pas quoi en faire. C’est bizarre de dire ça mais… c’est un problème », lance Enrico Stefano, le jeune conseiller municipal de Virginia Raggi, la mairesse 5 étoiles de Rome. Chargé des transports et de la mobilité depuis trois ans, ce jeune politique semble malgré tout apprécier les vestiges romains, bien qu’ils constituent un frein à son action politique dans la ville éternelle.
À Rome, tout le monde connaît l’histoire de la ligne C. Imaginée en 1996, les travaux d’excavation ont débuté en 2007 à l’est de la capitale et se poursuivent encore aujourd’hui dans le centre de la ville vers l’ouest. Vingt-deux des vingt-neuf stations sont déjà opérationnelles depuis 2015, mais la prochaine, Fori Imperiali, devant le Colisée, ne devrait pas être inaugurée avant 2023. Si le retard dans la construction est en partie le résultat d’importantes trouvailles archéologiques, la volonté de mettre en valeur ce patrimoine et la gestion globale du projet ne sont pas étrangères à cet atermoiement.
Qu’importe, très peu de Romains utilisent le métro. Sa réputation lui colle à la peau. Des retards à répétition, des lignes insuffisantes et des rames bondées aux heures de pointe. La voiture a la faveur des habitants. Ce qui rend le trafic routier très difficile aux heures des trajets travail-domicile et ne contribue pas à réduire la pollution dans la capitale. Et ce, malgré un investissement de trois milliards d’euros pour la seule ligne C, financée à 70% par le Ministère des Infrastructures et des Transports, le reste étant partagé entre la municipalité de Rome (18%) et la région de Latium (12%).
La ligne C, l’archéolo-métro
Dorénavant, la mairie de Rome tient beaucoup à cette ligne C. Mais des vestiges archéologiques à la pelle ralentissent sa progression. Une aubaine pour la Soprintendenza, l’organe de l’État en charge du patrimoine archéologique, mais un casse tête pour la mairie et Roma Metropolitane, le constructeur du métro.
Devant le Colisée, de grandes palissades jaunes cachent les engins de chantier et de forage, mais également de vieux pavements datant de l’antiquité romaine. Une sacrée contrainte pour de si gros travaux puisque la Soprintendenza impose de creuser couche par couche, avec de petits engins, sur une profondeur de vingt mètres afin de ne pas abîmer de possibles vestiges archéologiques. Les vieilles colonnes doriques attenantes au chantier sont mêmes consolidées par des tirants métalliques pour éviter qu’elles ne s’effondrent lors des travaux de forage.
Pour Simona Moretti, l’archéologue en charge de la ligne C au sein de la Soprintendenza, organe rattaché au Ministère pour les Biens et Activités culturels, l’idée est de valoriser les trouvailles archéologiques « avec des expositions de vestiges dans les stations ». Mais pour l’instant, seul le terminus de la ligne, San Giovanni, situé à la sortie du centre historique, utilise les grands espaces de ses couloirs pour exposer de vieilles amphores, des pièces et des outils datant du IIe siècle, retrouvés lors de la construction de la station.
Une telle exposition permet non seulement d’attirer les Romains dans les couloirs souterrains qu’ils honnissent, mais c’est également « une façon de faire de la culture démocratique, à la portée de tout le monde et de toutes les classes sociales », explique Simona Moretti.
Le travail final n’est pas si mal
Federico
Pour le conseiller aux transports de la ville, Enrico Stefano, « San Giovanni est une station magnifique », même s’il regrette que ce soit la seule à exposer les vestiges découverts lors des travaux. « Les stations sont très grandes et vides, et dans quelques unes d’entre-elles, nous essayons de faire des expositions temporaires, mais nous avons besoin de quelque chose de plus gros », reconnaît-il.
C’est en partie ce pourquoi Federico Scaroni, membre du collectif Salviamo la metro C (Sauvons le métro C), se mobilise depuis deux ans. Le collectif, d’une dizaine de volontaire, cherche également à développer la ligne C au-delà du tracé initial pour qu’elle desserve les quartiers les plus excentrés. Même si Federico reconnaît que « le travail final n’est pas si mal », il regrette qu’il soit aussi « anonyme, presque ennuyeux ». Cet architecte romain de 41 ans souhaite que « ces grandes stations, très larges et très longues, soient mieux exploitées avec des expositions des vestiges archéologiques trouvés lors des fouilles ».
Un métro politiquement correct
Ce genre d’expositions, comme celle de San Giovanni, n’était pourtant pas dans les plans de la mairie. Enrico Stefano reconnaît aujourd’hui que les expositions dans le métro sont une aubaine pour la ville. Mais la mairie était plutôt réticente à cette idée lors des découvertes. « On a imposé à la ville et à Roma Metropolitane, l’entreprise publique en charge du design et de la construction du métro, de faire cette exposition », explique Simona Morreti, qui tient son pouvoir de contrainte directement de l’État. « Au début, nous avions des difficultés pour nous entendre, poursuit-elle, parce qu’ils voulaient terminer le métro et donc les fouilles archéologiques le plus vite possible ».
Restait ensuite à Roma Metropolitane et à la municipalité, à revoir les plans de la station pour mettre en œuvre les exigences de la Soprintendenza. Pour Enrico Stefano, le retard accumulé à San Giovanni n’est pas dû aux découvertes archéologiques, mais au temps passé à négocier les nouveaux plans pour intégrer ces dernières. « Nous avons passé plus ou moins un an pour décider où mettre les ruines et qui allait en être responsable », soupire-t-il. « Les trouvailles archéologiques, c’est une opportunité si on y pense au début, pas après », conclut-il.
Des coûts qui viennent encore s’ajouter aux milliards d’euros dépensés dans la ligne de métro. « Pour San Giovanni, les coûts additionnels ont été très important car nous devions gérer les solutions archéologiques pendant la construction de la station », explique Andrea Sciotti, manager en chef du projet de la ligne C au sein de Roma Metropolitane. L’augmentation des coûts sera tout de même contenue grâce à un appel à projet avec l’Université de la Spienza. Une manière d’éviter de coûteux contrats d’architecture en utilisant du travail d’universitaire gratuit, explique Federico de Salviamo la metro C.
‘La Raggi’, le nom donné à la mairesse par ses administrés, « a bien compris la valeur de cette opération archéologique dans les stations », observe Simona Moretti. «Nous allons souvent avec elle lorsqu’elle amène ses hôtes importants voir les choses merveilleuses qu’on a mis dans la station. Un jour, nous avons emmené Jean Todt, de La Ferrari, et la semaine prochaine, nous emmenons une délégation japonaise », raconte l’archéologue.
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Un métro sans fin
Tous ces retards accumulés dans la construction de la ligne C font d’elle un symbole des promesses politiques qui n’aboutissent pas. Leo Pari, un chanteur italien, a réalisé une musique intitulée La Metro C (Le Metro C), qu’il a écrit comme « une métaphore de quelque chose qui ne sera jamais fini, où il manque toujours quelques chose ». Sur YouTube, sa chanson a rencontré un petit succès dans la capitale. Sortie en 2015, elle comptabilise plus de 20 000 vues sur la plateforme de vidéo en streaming.
Pour Enrico Stefano, le retard accumulé jusqu’ici dans la construction de la ligne est dû en partie aux découvertes archéologiques, mais pas que. « Chaque fois qu’on découvre des ruines, poursuit le jeune conseiller municipal, on passe beaucoup de temps pour trouver la meilleure solution. Ce ne sont pas les ruines le problème, mais ce que la Soprintendenza décide d’en faire », s’agace-t-il en agitant les mains.
« À chaque fois que le travail avançait, ils découvraient un nouveau problème. Aujourd’hui, on a déjà plus de 47 versions du projet pour la ligne C », soupire Enrico Stefano. Voici l’autre raison du retard, aux prémices de la construction du métro. « Les travaux ont commencé sur la base du projet préliminaire », raconte le conseiller aux transports, une ébauche de métro imaginée en 1996 par l’ancien maire Francesco Rutelli, dans le but de rattraper le retard de la ville concernant les transports publics et désengorger le centre-ville du trafic automobile.
Au début de son mandat en juin 2016, la mairesse, Virginia Raggi, souhaitait que le métro ne dépasse pas la station de San Giovanni. C’est pourtant la seule connexion de la ligne C avec une autre ligne, la A, qui traverse la capitale du nord-est au sud-ouest. Le but de la mairie était avant tout de construire rapidement la ligne pour débarrasser la ville de ces coûteux travaux, « ce contre quoi s’élèvent les électeurs du Mouvement 5 étoiles », analyse Federico Scaroni.
Face au positionnement de la mairesse, de nombreuses voix, comme celle du collectif Salviamo la metro C, se sont fait entendre pour poursuivre le tracé de la ligne. Sans les sept futures stations après le terminus temporaire de San Giovanni, c’est toute une partie de l’est de la ville qui n’aurait pu avoir accès au métro.
Mais Enrico Stefano reconnaît aujourd’hui que c’était une erreur de début de mandat. « Ce n’est pas un problème pour moi de le dire, on a changé notre position. C’était une erreur de vouloir arrêter la ligne C à San Giovanni sans même la raccorder à la ligne B. Sans cela, nous ne pouvions pas retirer les voitures du centre », admet le trentenaire au costume à carreaux gris chiné.
La ligne C comme Culture
Pour appâter les Romains dans les sous-sols de la ville, la mairie mise désormais sur les expositions archéologiques à l’intérieur des futures stations. À San Giovanni, Iva « découvre le métro juste par curiosité. Pour voir comment est cette nouvelle ligne C », raconte-t-elle en flânant devant les vitrines, qui renferment des trésors millénaires à quatorze mètres sous le niveau du sol. Cette quinquagénaire explique qu’elle ne prend jamais le métro et préfère sa voiture pour se rendre sur son lieu de travail, comme de nombreux Romains.
Pour nous, les Romains, il n’y a rien de spécial, ce sont justes des petits objets archéologiques
Alessandro
Plus loin dans la station, Alessandro, un garde privé embauché par la compagnie de transport de la ville, ATAC, surveille les vestiges exposés et fait les cent pas dans les couloirs musées de la station. À 28 ans, ce jeune brun porte un costume ressemblant à celui des policiers, une arme et des menottes à la ceinture. Il raconte dans un anglais irréprochable que « des groupes de touristes viennent ici voir les vestiges, d’autres personnes passent devant sans y faire attention ».
« Pour nous, les Romains, il n’y a rien de spécial, ce sont justes des petits objets archéologiques », ajoute-t-il d’un ton presque blasé, comme si les vestiges de la Rome antique faisaient partie de son quotidien. Debout huit heures par jour, il jette parfois un œil aux artefacts exposés, « surtout les vieilles pièces de monnaie », et lit les explications qui les accompagnent.
Iva et Alessandro pourront se réjouir puisque la station de San Giovanni sera bientôt plus une exception du réseaux de métro romain. Le papa de la ligne C, Andrea Sciotti, explique que « San Giovanni est la première station à faire évoluer la vision de la mairie de Rome sur le sujet archéologique ».
La construction de la station d’Amba Aradam, au sud-est du centre historique, a révélé d’autres trésors du passé. Une caserne militaire du IIe siècle a été découverte à neuf mètres de profondeur. Malgré de nombreuses analyses de sol avant le début du forage, « c’était une grande surprise », raconte l’archéologue chargée des fouilles de la ligne C.
En tout, 1 300m² de structure archéologique vont être démontés puis remontés au sein de la station d’Amba Aradam, dans une galerie prévue à cet effet. Les leçons du temps perdu à San Giovanni, « la station pilote » pour Simona Moretti, semblent désormais acquises. Les prochaines stations, comme celle d’Amba Aradam, intègrent déjà dans leurs plans un espace suffisant pour intégrer les découvertes archéologiques faites pendant les travaux.
« On travaille en ce moment sur la partie du métro C qui va traverser le centre historique », raconte Simona Moretti. « Là-bas on ne parle pas de risques archéologiques, on a la certitude qu’il y aura d’importants restes archéologiques. Il faut faire des recherches et prévoir d’intégrer les trouvailles dans la station avant de fouiller, pour réussir à changer ce risque archéologique en chance archéologique », sourit-elle.