La future station de la ligne C, Fori Imperiali, en construction devant le Colisée. ©Florian Yven

La Ligne C, un voyage dans le temps qui s’éternise

Ecrit par
Flo­ri­an Yven
Enquête de
Pierre Mau­r­er et Flo­ri­an Yven à Rome

À Rome, la ligne C du métro est un sujet de dis­cus­sion sans fin. La ligne a été dess­inée il y a vingt ans. Mais sa con­struc­tion n’a tou­jours pas abouti. Les décou­vertes archéologiques faites lors des for­ages et leur val­ori­sa­tion expliquent en par­tie le retard accu­mulé. Mais la ges­tion glob­ale de la con­struc­tion a ses pro­pres lacunes.

« Nous avons telle­ment de ruines que par­fois nous ne savons pas quoi en faire. C’est bizarre de dire ça mais… c’est un prob­lème », lance Enri­co Ste­fano, le jeune con­seiller munic­i­pal de Vir­ginia Rag­gi, la mairesse 5 étoiles de Rome. Chargé des trans­ports et de la mobil­ité depuis trois ans, ce jeune poli­tique sem­ble mal­gré tout appréci­er les ves­tiges romains, bien qu’ils con­stituent un frein à son action poli­tique dans la ville éternelle.

À Rome, tout le monde con­naît l’histoire de la ligne C. Imag­inée en 1996, les travaux d’excavation ont débuté en 2007 à l’est de la cap­i­tale et se pour­suiv­ent encore aujourd’hui dans le cen­tre de la ville vers l’ouest. Vingt-deux des vingt-neuf sta­tions sont déjà opéra­tionnelles depuis 2015, mais la prochaine, Fori Impe­ri­ali, devant le Col­isée, ne devrait pas être inau­gurée avant 2023. Si le retard dans la con­struc­tion est en par­tie le résul­tat d’importantes trou­vailles archéologiques, la volon­té de met­tre en valeur ce pat­ri­moine et la ges­tion glob­ale du pro­jet ne sont pas étrangères à cet atermoiement.

Qu’importe, très peu de Romains utilisent le métro. Sa répu­ta­tion lui colle à la peau. Des retards à répéti­tion, des lignes insuff­isantes et des rames bondées aux heures de pointe. La voiture a la faveur des habi­tants. Ce qui rend le traf­ic routi­er très dif­fi­cile aux heures des tra­jets tra­vail-domi­cile et ne con­tribue pas à réduire la pol­lu­tion dans la cap­i­tale. Et ce, mal­gré un investisse­ment de trois mil­liards d’euros pour la seule ligne C, financée à 70% par le Min­istère des Infra­struc­tures et des Trans­ports, le reste étant partagé entre la munic­i­pal­ité de Rome (18%) et la région de Latium (12%).

La ligne C, l’archéolo-métro

Doré­na­vant, la mairie de Rome tient beau­coup à cette ligne C. Mais des ves­tiges archéologiques à la pelle ralen­tis­sent sa pro­gres­sion. Une aubaine pour la Soprint­en­den­za, l’organe de l’État en charge du pat­ri­moine archéologique, mais un casse tête pour la mairie et Roma Met­ro­pol­i­tane, le con­struc­teur du métro.

Devant le Col­isée, de grandes palis­sades jaunes cachent les engins de chantier et de for­age, mais égale­ment de vieux pave­ments datant de l’antiquité romaine. Une sacrée con­trainte pour de si gros travaux puisque la Soprint­en­den­za impose de creuser couche par couche, avec de petits engins, sur une pro­fondeur de vingt mètres afin de ne pas abîmer de pos­si­bles ves­tiges archéologiques. Les vieilles colonnes doriques attenantes au chantier sont mêmes con­solidées par des tirants métalliques pour éviter qu’elles ne s’effondrent lors des travaux de forage.

Sur le chantier de la ligne C devant le Col­isée, de vieilles colonnes romaines sont con­solidées par des struc­tures métalliques. © Flo­ri­an Yven

Pour Simona Moret­ti, l’archéologue en charge de la ligne C au sein de la Soprint­en­den­za, organe rat­taché au Min­istère pour les Biens et Activ­ités cul­turels,  l’idée est de val­oris­er les trou­vailles archéologiques « avec des expo­si­tions de ves­tiges dans les sta­tions ». Mais pour l’instant, seul le ter­mi­nus de la ligne, San Gio­van­ni, situé à la sor­tie du cen­tre his­torique, utilise les grands espaces de ses couloirs pour expos­er de vieilles amphores, des pièces et des out­ils datant du IIe siè­cle, retrou­vés lors de la con­struc­tion de la station.

Une telle expo­si­tion per­met non seule­ment d’attirer les Romains dans les couloirs souter­rains qu’ils hon­nis­sent, mais c’est égale­ment « une façon de faire de la cul­ture démoc­ra­tique, à la portée de tout le monde et de toutes les class­es sociales », explique Simona Moretti.

Le tra­vail final n’est pas si mal

Fed­eri­co

Pour le con­seiller aux trans­ports de la ville, Enri­co Ste­fano, « San Gio­van­ni est une sta­tion mag­nifique », même s’il regrette que ce soit la seule à expos­er les ves­tiges décou­verts lors des travaux. « Les sta­tions sont très grandes et vides, et dans quelques unes d’entre-elles, nous essayons de faire des expo­si­tions tem­po­raires, mais nous avons besoin de quelque chose de plus gros », recon­naît-il.

C’est en par­tie ce pourquoi Fed­eri­co Sca­roni, mem­bre du col­lec­tif Salvi­amo la metro C (Sauvons le métro C), se mobilise depuis deux ans. Le col­lec­tif, d’une dizaine de volon­taire, cherche égale­ment à dévelop­per la ligne C au-delà du tracé ini­tial pour qu’elle desserve les quartiers les plus excen­trés. Même si Fed­eri­co recon­naît que « le tra­vail final n’est pas si mal », il regrette qu’il soit aus­si « anonyme, presque ennuyeux ». Cet archi­tecte romain de 41 ans souhaite que « ces grandes sta­tions, très larges et très longues, soient mieux exploitées avec des expo­si­tions des ves­tiges archéologiques trou­vés lors des fouilles ».

Un métro politiquement correct

Ce genre d’expositions, comme celle de San Gio­van­ni, n’était pour­tant pas dans les plans de la mairie. Enri­co Ste­fano recon­naît aujourd’hui que les expo­si­tions dans le métro sont une aubaine pour la ville. Mais la mairie était plutôt réti­cente à cette idée lors des décou­vertes. « On a imposé à la ville et à Roma Met­ro­pol­i­tane, l’entreprise publique en charge du design et de la con­struc­tion du métro, de faire cette expo­si­tion », explique Simona Mor­reti, qui tient son pou­voir de con­trainte directe­ment de l’État. « Au début, nous avions des dif­fi­cultés pour nous enten­dre, pour­suit-elle, parce qu’ils voulaient ter­min­er le métro et donc les fouilles archéologiques le plus vite pos­si­ble ».

Restait ensuite à Roma Met­ro­pol­i­tane et à la munic­i­pal­ité, à revoir les plans de la sta­tion pour met­tre en œuvre les exi­gences de la Soprint­en­den­za. Pour Enri­co Ste­fano, le retard accu­mulé à San Gio­van­ni n’est pas dû aux décou­vertes archéologiques, mais au temps passé à négoci­er les nou­veaux plans pour inté­gr­er ces dernières. « Nous avons passé plus ou moins un an pour décider où met­tre les ruines et qui allait en être respon­s­able », soupire-t-il. « Les trou­vailles archéologiques, c’est une oppor­tu­nité si on y pense au début, pas après », con­clut-il.

À la sta­tion de San Gio­van­ni, des ves­tiges retrou­vés lors de la con­struc­tion de la sta­tion sont exposés dans les couloirs. © Flo­ri­an Yven

Des coûts qui vien­nent encore s’a­jouter aux mil­liards d’euros dépen­sés dans la ligne de métro. « Pour San Gio­van­ni, les coûts addi­tion­nels ont été très impor­tant car nous devions gér­er les solu­tions archéologiques pen­dant la con­struc­tion de la sta­tion », explique Andrea Sciot­ti, man­ag­er en chef du pro­jet de la ligne C au sein de Roma Met­ro­pol­i­tane. L’augmentation des coûts sera tout de même con­tenue grâce à un appel à pro­jet avec l’Université de la Spien­za. Une manière d’éviter de coû­teux con­trats d’architecture en util­isant du tra­vail d’universitaire gra­tu­it, explique Fed­eri­co de Salvi­amo la metro C.

La Rag­gi’, le nom don­né à la mairesse par ses admin­istrés, « a bien com­pris la valeur de cette opéra­tion archéologique dans les sta­tions », observe Simona Moret­ti. «Nous allons sou­vent avec elle lorsqu’elle amène ses hôtes impor­tants voir les choses mer­veilleuses qu’on a mis dans la sta­tion. Un jour, nous avons emmené Jean Todt, de La Fer­rari, et la semaine prochaine, nous emmenons une délé­ga­tion japon­aise », racon­te l’archéologue.

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Un métro sans fin

Tous ces retards accu­mulés dans la con­struc­tion de la ligne C font d’elle un sym­bole des promess­es poli­tiques qui n’aboutissent pas. Leo Pari, un chanteur ital­ien, a réal­isé une musique inti­t­ulée La Metro C (Le Metro C), qu’il a écrit comme « une métaphore de quelque chose qui ne sera jamais fini, où il manque tou­jours quelques chose ». Sur YouTube, sa chan­son a ren­con­tré un petit suc­cès dans la cap­i­tale. Sor­tie en 2015, elle compt­abilise plus de 20 000 vues sur la plate­forme de vidéo en streaming.

Pour Enri­co Ste­fano, le retard accu­mulé jusqu’ici dans la con­struc­tion de la ligne est dû en par­tie aux décou­vertes archéologiques, mais pas que. « Chaque fois qu’on décou­vre des ruines, pour­suit le jeune con­seiller munic­i­pal, on passe beau­coup de temps pour trou­ver la meilleure solu­tion. Ce ne sont pas les ruines le prob­lème, mais ce que la Soprint­en­den­za décide d’en faire », s’agace-t-il en agi­tant les mains.

« À chaque fois que le tra­vail avançait, ils décou­vraient un nou­veau prob­lème. Aujourd’hui, on a déjà plus de 47 ver­sions du pro­jet pour la ligne C », soupire Enri­co Ste­fano. Voici l’autre rai­son du retard, aux prémices de la con­struc­tion du métro. « Les travaux ont com­mencé sur la base du pro­jet prélim­i­naire », racon­te le con­seiller aux trans­ports, une ébauche de métro imag­inée en 1996 par l’ancien maire Francesco Rutel­li, dans le but de rat­trap­er le retard de la ville con­cer­nant les trans­ports publics et désen­gorg­er le cen­tre-ville du traf­ic automobile.

Sur le quai du métro, les usagers patien­tent lors des retards de métro. © Flo­ri­an Yven

Au début de son man­dat en juin 2016, la mairesse, Vir­ginia Rag­gi, souhaitait que le métro ne dépasse pas la sta­tion de San Gio­van­ni. C’est pour­tant la seule con­nex­ion de la ligne C avec une autre ligne, la A, qui tra­verse la cap­i­tale du nord-est au sud-ouest. Le but de la mairie était avant tout de con­stru­ire rapi­de­ment la ligne pour débar­rass­er la ville de ces coû­teux travaux, « ce con­tre quoi s’élèvent les électeurs du Mou­ve­ment 5 étoiles », analyse Fed­eri­co Scaroni.

Face au posi­tion­nement de la mairesse, de nom­breuses voix, comme celle du col­lec­tif Salvi­amo la metro C, se sont fait enten­dre pour pour­suiv­re le tracé de la ligne. Sans les sept futures sta­tions après le ter­mi­nus tem­po­raire de San Gio­van­ni, c’est toute une par­tie de l’est de la ville qui n’aurait pu avoir accès au métro.

Mais Enri­co Ste­fano recon­naît aujourd’hui que c’était une erreur de début de man­dat. « Ce n’est pas un prob­lème pour moi de le dire, on a changé notre posi­tion. C’était une erreur de vouloir arrêter la ligne C à San Gio­van­ni sans même la rac­corder à la ligne B. Sans cela, nous ne pou­vions pas retir­er les voitures du cen­tre », admet le trente­naire au cos­tume à car­reaux gris chiné.

La ligne C comme Culture

Pour appâter les Romains dans les sous-sols de la ville, la mairie mise désor­mais sur les expo­si­tions archéologiques à l’intérieur des futures sta­tions. À San Gio­van­ni, Iva « décou­vre le métro juste par curiosité. Pour voir com­ment est cette nou­velle ligne C », racon­te-t-elle en flâ­nant devant les vit­rines, qui ren­fer­ment des tré­sors mil­lé­naires à qua­torze mètres sous le niveau du sol. Cette quin­quagé­naire explique qu’elle ne prend jamais le métro et préfère sa voiture pour se ren­dre sur son lieu de tra­vail, comme de nom­breux Romains.

Pour nous, les Romains, il n’y a rien de spé­cial, ce sont justes des petits objets archéologiques

Alessan­dro

Plus loin dans la sta­tion, Alessan­dro, un garde privé embauché par la com­pag­nie de trans­port de la ville, ATAC, sur­veille les ves­tiges exposés et fait les cent pas dans les couloirs musées de la sta­tion. À 28 ans, ce jeune brun porte un cos­tume ressem­blant à celui des policiers, une arme et des menottes à la cein­ture. Il racon­te dans un anglais irréprochable que « des groupes de touristes vien­nent ici voir les ves­tiges, d’autres per­son­nes passent devant sans y faire atten­tion ».

À San Gio­van­ni, des amphores du IIe siè­cle décorent les couloirs de la sta­tion. © Flo­ri­an Yven

« Pour nous, les Romains, il n’y a rien de spé­cial, ce sont justes des petits objets archéologiques », ajoute-t-il d’un ton presque blasé, comme si les ves­tiges de la Rome antique fai­saient par­tie de son quo­ti­di­en. Debout huit heures par jour, il jette par­fois un œil aux arte­facts exposés, « surtout les vieilles pièces de mon­naie », et lit les expli­ca­tions qui les accompagnent.

Iva et Alessan­dro pour­ront se réjouir puisque la sta­tion de San Gio­van­ni sera bien­tôt plus une excep­tion du réseaux de métro romain. Le papa de la ligne C, Andrea Sciot­ti, explique que « San Gio­van­ni est la pre­mière sta­tion à faire évoluer la vision de la mairie de Rome sur le sujet archéologique ».

La con­struc­tion de la sta­tion d’Amba Aradam, au sud-est du cen­tre his­torique, a révélé d’autres tré­sors du passé. Une caserne mil­i­taire du IIe siè­cle a été décou­verte à neuf mètres de pro­fondeur. Mal­gré de nom­breuses analy­ses de sol avant le début du for­age, « c’était une grande sur­prise », racon­te l’archéologue chargée des fouilles de la ligne C.

En tout, 1 300m² de struc­ture archéologique vont être démon­tés puis remon­tés au sein de la sta­tion d’Amba Aradam, dans une galerie prévue à cet effet. Les leçons du temps per­du à San Gio­van­ni, « la sta­tion pilote » pour Simona Moret­ti, sem­blent désor­mais acquis­es. Les prochaines sta­tions, comme celle d’Amba Aradam, intè­grent déjà dans leurs plans un espace suff­isant pour inté­gr­er les décou­vertes archéologiques faites pen­dant les travaux.

« On tra­vaille en ce moment sur la par­tie du métro C qui va tra­vers­er le cen­tre his­torique », racon­te Simona Moret­ti. « Là-bas on ne par­le pas de risques archéologiques, on a la cer­ti­tude qu’il y aura d’importants restes archéologiques. Il faut faire des recherch­es et prévoir d’intégrer les trou­vailles dans la sta­tion avant de fouiller, pour réus­sir à chang­er ce risque archéologique en chance archéologique », sourit-elle.

À propos de Giorni

Giorni est le site de la 73ème pro­mo­tion du CFJ en voy­age à Rome.

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