Entre insultes, critiques et clichés… Le sentiment anti-français est une réalité quotidienne pour de nombreux expatriés en Italie.
« Maintenant, je réfléchis avant de dire que je suis Français. » Etudiant en relations internationales à Rome, Viktor Sobra-Delseny ne compte même plus les remarques mesquines sur ses origines. Mais un vendredi soir de novembre, les agressions verbales prennent une tournure plus violente. A 22 heures, en prenant la rue menant à la place Campo de Fiori, à deux pas de l’ambassade de France, un homme italien alcoolisé entend parler Viktor et une amie en français. « Copa del mundo », balance-t-il au jeune homme. Pas de réponse. L’Italien le suit jusqu’à la place. Lui donne un coup de pied dans les jambes en hurlant « Français de merde, mais tu n’as pas entendu ce qu’a dit Salvini ? Vaffanculo ! » Le jeune homme arrivé en Italie il y a trois ans a juste le temps de se réfugier dans un bar de la place, avant que son agresseur ne soit repoussé par des Italiens.
Viktor, Perpignanais de 21 ans, assure ne pas vouloir quitter l’Italie pour autant. Anne Tréca, elle, est plus catégorique. Pour la journaliste franco-italienne, s’éloigner de l’Italie pendant trois semaines est une libération. « C’est quinze remarques par jours, les Italiens adorent dénigrer les Français », confie-t-elle fatiguée de devoir faire face à ce qu’elle nomme un « sentiment anti-français ». « Pas une semaine sans qu’on me parle de l’histoire du bidet », soupire-t-elle, référence à l’absence de bidet dans les salles de bain françaises qui serait synonyme de saleté corporelle. Des remarques coutumières pour les Français en Italie mais qui sont exacerbées depuis l’arrivée au pouvoir des ministres Luigi Di Maio (M5S, populiste) et de Matteo Salvini (Ligue, extrême-droite). Viktor Sobra-Delseny assure avoir vu les mentalités des Italiens changer à partir de l’été 2018. Ses sorties en boite de nuit où il pouvait se vanter d’être français sont désormais marquées par des regards méprisants. Ces tensions sont remontées aux oreilles du député LREM Christophe di Pompeo, président du Groupe d’Amitié de l’Assemblée nationale France-Italie : « Il y a des réactions qu’on n’avait pas avant, déplore-t-il , le serveur vous fait une réflexion quand il vous apporte le café et qu’il voit que vous êtes français par exemple. » Cette situation, la nouvelle correspondante française du Figaro à Rome, Valérie Segond, l’a déjà rencontrée. Dans le bar romain où elle se rend pour boire son cappuccino, le barista lance mi-amusé, mi-sérieux « je fais seulement le café pour les anti-français », rapporte-t-elle à L’Espresso, hebdomadaire italien de centre gauche. Selon un proche du Quai d’Orsay, ces cas ne sont pas isolés : « Vous avez des remarques pendant les vacances où les gens ne veulent pas que vous vous gariez parce que vous êtes français. Vous êtes pris à parti par les gens. Et vous avez cela même à des endroits où vous ne vous y attendez pas comme à l’école française par exemple. »
« S’ils apprennent que t’es français, c’est mort »
Au lycée Chateaubriand, l’école française prisée de la haute société romaine, les Français se font de plus en plus rares. Près de 75% des élèves sont italiens. Entre deux fiches de révisions pour son bac blanc, Amanda, adolescente française se confie sur les relations compliquées avec ses camarades italiens : « Dès que tu arrives, s’ils apprennent que t’es Français, c’est mort. Je ne trouve pas nécessairement les Italiens très accueillants […] Ici ils sont très fermés, il y a vraiment des groupes avec d’un côté les Italiens et les autres ». A peine l’entretien commencé, Céline Coester, proviseure adjointe du lycée, lâche : « Je ne dirais pas que les Français et les Italiens s’entendent bien ». Plus tard, elle ira même jusqu’à évoquer dans un demi sourire « une guerre des tranchées ». Dernier incident en date dans son établissement, un adolescent franco-belge a affirmé qu’il n’aimait pas un professeur italien, ni aucun autre Italien. A cette remarque, un élève lui répond : « Les Français, c’est des moins que rien. » « Un exemple parmi tant d’autres » assure la proviseure adjointe, qui tient tout de même à nuancer en précisant qu’il s’agit de « conflits d’enfants » qui n’ont rien de « nouveau ».
Pourtant, beaucoup d’expatriés contactés disent ne pas vivre ce sentiment « anti-Français ». A commencer par la librairie Stendhal à Rome, tenue par Marie-Eve Venturino. Cette amoureuse des livres refuse de parler d’un « sentiment anti-Français » et assure que la cohabitation Français-Italiens se passent très bien. Catherine Liguti, passionnée de tarologie, apprécie sa vie romaine. « Je me sens très bien intégrée, notamment parce que je parle bien l’italien ». Et ce malgré les nombreuses invectives de Luigi Di Maio et Matteo Salvini contre la France.
La crise migratoire, l’instabilité politique de la Libye, l’avenir de l’Europe ou même la présence de la Joconde à Paris sont autant de sujets historiques de frictions entre la France et l’Italie. Les tensions se développent par exemple dans le domaine économique. En 2006, la BNL (Banca Nazionale del Lavoro), groupe bancaire fondé à Rome il y a plus de cent ans, était racheté par le groupe français BNP-Paribas. Six ans plus tard, c’était autour d’Edison (compagnie d’électricité et de gaz) de se faire absorber par EDF qui en possède aujourd’hui 98% des actions en bourse. Sans parler de l’industrie du luxe où les fleurons italiens Bulgari, Fendi, Pucci et Loro Piana appartiennent au géant français LVMH. Autant d’exemples qui nourrissent la peur que toutes les entreprises italiennes soient rachetées par la France. « Il y a eu aussi beaucoup de tensions politiques au moment de l’arrivée de Berlusconi qui a été vu par les Français comme un pitre », se souvient Philippe Ridet, ancien correspondant du Monde à Rome de 2008 à 2016. « Même si les Italiens le voyaient aussi comme un pitre, il suffisait que les Français le disent pour que ça ne passe plus. Les Italiens sont très susceptibles par rapport à ce que nous, Français, pouvons penser d’eux».
Ce sentiment anti-Français est présent sur la scène footballistique. En témoigne le désamour envers l’équipe française masculine de football. En 2018, 90% des Italiens déclaraient soutenir la Croatie plutôt que la France avant la finale de la Coupe du monde, selon un sondage publié par le quotidien national Corriere della serra. Parmi les reproches adressés aux Français, une attitude méprisante par rapport aux Italiens. « Ils sont moins sympas que les autres touristes », regrette Andrea Ferrari, guide italien de 54 ans. Au pied du Colisée, en train d’alpaguer les visiteurs pour leur proposer une visite, il affiche une moue sceptique à l’évocation des touristes français. « Les Français sont un peu… dans la grandeur. Parfois, ils ne te répondent même pas… Ils sont un peu difficiles. »
« Bouc-émissaire »
Pour Sandro Gozi, francophile convaincu, ex secrétaire d’État italien chargé des affaires européennes de 2014 à 2018 et élu député européen sur la liste d’En Marche, le sentiment anti-Français « est alimenté au quotidien par les deux vice-présidents du Conseil Di Maio et Salvini et par les représentants des deux partis qui sont à la recherche permanente d’un ennemi extérieur ». « Luigi Di maio a voulu prendre la France comme bouc-émissaire, chercher un ennemi », insiste une source diplomatique française qui a souhaité garder l’anonymat. Il cite pour exemple ce tweet du ministre de l’Intérieur : «[…] le vin italien est meilleur que le français, le cinéma et la musique idem, et la Sardaigne est beaucoup plus belle que la Corse :) », estimant que « c’est la France qui est visée ».
Eccoli i veri campioni di oggi! E poi il vino italiano è meglio di quello francese, cinema e musica idem, e la Sardegna è molto più bella della Corsica😁 https://t.co/rdiCYjWCR3
— Matteo Salvini (@matteosalvinimi) July 15, 2018
Une situation qui a atteint son paroxysme le 7 février 2019 lorsque la France décidait de rappeler son ambassadeur en Italie, Christian Masset, à la suite d’une rencontre entre Luigi Di Maio et Christophe Chanlencon, figure controversée des gilets jaunes. Une première depuis 1945. Le Quai d’Orsay évoquait alors un « manque de respect » et des « accusations répétées » de la part de l’Italie. A Rome, l’ambassade de France est inquiète. Lors d’une réunion en off mi-février avec les correspondants français, Christian Masset, ambassadeur en Italie, a demandé si le sentiment anti-Français était une réalité pour eux.
Quoi qu’il en soit, les Italiens continuent d’apprécier la France et de traverser la frontière pour visiter Paris et sa région comme l’indiquait le comité Régional de Tourisme Paris Ile-de-France le 14 février 2019. En 2018, ils étaient la clientèle internationale en plus forte augmentation (+27,5%) par rapport à l’année précédente. Et parmi eux, 60% avaient l’intention de revenir flâner dans la capitale, qui reste à ce jour la seule ville jumelée avec… Rome.
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