Coup franc au stade Vallefuoco, lors de l'entraînement des joueurs de l'Afro Napoli United.

L’Afro Napoli face à une nouvelle Ligue

Écrit par
Romain Alli­mant
Enquête de
Arthur Stroe­bele et Romain Alli­mant, à Naples

En 2009, Anto­nio Gargiu­lo, compt­able, décide de créer une équipe pro­fes­sion­nelle réu­nis­sant ses amis napoli­tains et ses col­lègues venus de dif­férents pays d’Afrique : l’Afro Napoli Unit­ed était né. Dix ans plus tard, le club a enchaîné les suc­cès et évolue en cinquième divi­sion ital­i­enne sans avoir renon­cé à sa voca­tion de lutte con­tre le racisme. Pour­tant, l’arrivée du nou­veau gou­verne­ment pop­uliste ital­ien frag­ilise l’institution et exac­erbe les tensions.

Un soleil froid illu­mine le stade Valle­fuo­co à Mug­nano, une com­mune de 35 000 habi­tants du nord de Naples, ce mer­cre­di après-midi. Sur la pelouse, vingt-deux joueurs s’affrontent tran­quille­ment sous les con­signes tac­tiques vocif­érées par les entraîneurs. Une poignée d’irréductibles sup­port­ers est éparpil­lée dans les tri­bunes qui enser­rent le ter­rain. Un attaquant chevelu, au survête­ment flo­qué Afro Napoli Unit­ed, se fait oubli­er par la défense, tente un appel et parvient à gliss­er le bal­lon au fond des filets. Hors-jeu. Coup de sif­flet de l’arbitre, paré d’un mail­lot jaune fluo man­i­feste­ment trop moulant. Le match reprend. Cette sim­ple ren­con­tre ami­cale con­tre une équipe locale per­met aux joueurs de l’Afro Napoli de pré­par­er leur prochain affron­te­ment con­tre Fle­grea. L’enjeu ? Con­serv­er au min­i­mum l’actuelle cinquième place du cham­pi­onnat d’Excellenza, la cinquième divi­sion ital­i­enne, pour jouer les play-offs et avoir une chance d’accéder au cham­pi­onnat supérieur l’année prochaine.

Les joueurs de l’Afro Napoli s’en­traî­nent lors d’un match ami­cal. À gauche, Sal­va­tore Sog­no, un Argentin, attend la passe de son coéquip­i­er / © R. ALLIMANT
 
 

Pour­tant les résul­tats sportifs ne sont pas les seules préoc­cu­pa­tions des mem­bres de l’Afro Napoli. En une décen­nie, le club est devenu le bla­son foot­bal­lis­tique de la lutte con­tre le racisme et pour l’intégration des immi­grés à l’échelle locale.

Le logo de l’Afro Napoli mêle des références à l’Afrique, Naples, Mar­tin Luther King et Che Gue­vara / © A. STROEBELE

L’équipe pro­fes­sion­nelle est com­posée des joueurs ital­iens et étrangers, surtout africains. « Pour nous, l’intégration c’est être ensem­ble, explique Anto­nio Gargiu­lo, le prési­dent-fon­da­teur de l’Afro Napoli. C’est partager les douleurs, les joies, les vic­toires et les défaites. C’est comme cela qu’on fait tomber les murs ».  Selon Gui­do Boldoni, l’ancien respon­s­able des jeunes de 2016 à 2018, qui a depuis démis­sion­né :  « Il y a beau­coup de nation­al­ités dif­férentes, mais si je devais citer les trois pays d’origines majori­taires, ce serait le Séné­gal, le Nige­ria et la Gam­bie. » La volon­té inté­gra­trice de l’Afro Napoli s’exporte même dans les étab­lisse­ments sco­laires où le club inter­vient auprès des élèves. Un investisse­ment local que Francesco Fasano, vice-prési­dent, place au coeur de leur lutte pour chang­er les men­tal­ités : « Si, dans dix ans, tous les enfants d’Italie suiv­ent le même pro­gramme que celui que nous menons dans les écoles, la sit­u­a­tion actuelle ne sera plus qu’un loin­tain souvenir. »

 La sit­u­a­tion à laque­lle il fait référence, c’est le nou­veau gou­verne­ment ital­ien de Giuseppe Con­te, mis en place en mars 2018, qui ne partage pas vrai­ment les valeurs représen­tées par le club. Plus par­ti­c­ulière­ment, Mat­teo Salvi­ni, l’actuel min­istre de l’Intérieur et secré­taire général de la Ligue, un mou­ve­ment d’extrême-droite anti-immi­gra­tion. En sep­tem­bre 2018, lors d’une réu­nion avec d’autres min­istres européens, ce dernier avait notam­ment déclaré : « En Ital­ie, nous ressen­tons l’ex­i­gence d’aider nos enfants à faire d’autres enfants, et pas d’avoir de nou­veaux esclaves pour rem­plac­er les enfants que nous ne faisons plus. » Pour Anto­nio Gargiu­lo, « Salvi­ni est un vrai dan­ger. Chaque jour il sort une nou­velle déc­la­ra­tion qui incite à la dis­crim­i­na­tion, à la haine et à la vio­lence. » Francesco Fasano partage cette lec­ture et souligne son oppo­si­tion formelle à la Ligue : « Nous refu­sons point par point toutes les idées de ce gouvernement ! »

« Le meilleur message à envoyer à Salvini, c’est de ne pas se comporter comme lui »

Pour­tant l’Afro Napoli n’a pas été épargné par les dis­sen­sions qui déchirent actuelle­ment l’Italie. En sep­tem­bre 2018, Tit­ty Astari­ta, la cap­i­taine de l’équipe fémi­nine de l’Afro Napoli, s’inscrit dans la liste de Rosario Pezzel­la, un can­di­dat à l’élec­tion munic­i­pale, affil­ié à la Ligue et proche de Mat­teo Salvi­ni. Anto­nio Gargiu­lo apprend la nou­velle et ren­voie la joueuse : « Nous lui avons dit qu’elle devait choisir entre les élec­tions et l’Afro Napoli. Les deux étaient incom­pat­i­bles. » « L’Afro Napoli n’est pas une sim­ple équipe de foot­ball, con­firme Francesco Fasano. Nous faisons de la poli­tique. Nous ne voulons pas divis­er mais rassem­bler, con­traire­ment à la Ligue ». Dario Sar­nataro, jour­nal­iste pour Il Mat­ti­no, avait suivi l’affaire à l’époque et décrit un désac­cord entre les sup­port­ers : « Il y avait ceux qui étaient d’accord avec la déci­sion du prési­dent, qu’ils jugeaient cohérente avec la philoso­phie de l’équipe, et ceux qui l’ont forte­ment cri­tiquée. Ils se demandaient com­ment une équipe sym­bole de l’intégration et de l’égalité sans dis­tinc­tion pou­vait ren­voy­er une joueuse pour ses choix poli­tiques ». Gui­do Boldoni, pour qui la réponse d’Antonio Gargiu­lo n’était pas la bonne, revient avec regrets sur cette péri­ode : « C’est une des raisons pour lesquelles je suis par­ti en début de sai­son. Je pense que le meilleur mes­sage à envoy­er à Salvi­ni, c’est de ne pas se com­porter comme lui ». 

Mes­sage trou­vé sur la page de l’Afro Napoli pen­dant l’af­faire Tit­ty Astari­ta. « Le racisme, l’in­té­gra­tion, la diver­sité, l’af­fir­ma­tion de la lib­erté de penser. Le sport qui rassem­ble. Tous ces con­cepts qui ne me sem­blent pas avoir été mis en place dans cette affaire. Au détri­ment de la mar­gin­al­i­sa­tion, de l’ex­clu­sion et de la dis­crim­i­na­tion.»
Mes­sage trou­vé sur la page de l’Afro Napoli pen­dant l’af­faire Tit­ty Astari­ta. « C’est une bonne chose. Les per­son­nes qui ne sont pas attachées au mail­lot, aux principes et aux valeurs du pro­jet. Nous n’en voulons pas. »

Pour con­tin­uer à jouer, Tit­ty Astari­ta crée sa pro­pre équipe : l’ASD Inde­pen­dent. La for­ma­tion est vite rejointe par… l’intégralité de l’équipe fémi­nine de l’Afro Napoli. Les joueuses sou­ti­en­nent leur cap­i­taine et s’opposent à la déci­sion du prési­dent. L’an­cien entraîneur de l’équipe fémi­nine, Adama Kane, revient sur cette affaire : « Il y a eu une incom­préhen­sion entre cette fille, Tit­ty Astari­ta, le club et le prési­dent. Je n’ai pas tout bien com­pris, per­son­ne ne s’est mis d’accord et elles ont fait le choix de par­tir et de créer un nou­veau club. A l’Afro Napoli, il n’y a plus d’équipe fémi­nine, sauf pour le foot­ball à 5. »

Le Séné­galais de 36 ans, qui s’occupe aujourd’hui des jeunes, ne tar­it pas d’éloges sur le style de jeu ital­ien et la vision du foot­ball enseignée dans la Botte. Cepen­dant, le Cal­cio souf­fre égale­ment de ses maux. « Le foot­ball est génial ici, mais les men­tal­ités sont arriérées. On entend encore des choses qu’on ne devrait plus enten­dre » déplore Adama Kane. Kali­dou Koulibaly, le défenseur séné­galais de Naples qui a été la cible de cris de singe en décem­bre dernier lors d’un match opposant les Partenopei (le surnom des joueurs de Naples) à l’Inter Milan, peut en témoign­er. Mat­teo Salvi­ni avait min­imisé ces insultes racistes. Alors en Ital­ie, les remar­ques xéno­phobes au stade continuent.

« Salvini a raison, tu dois rentrer dans ton pays ! »

Ce phénomène, les joueurs de l’Afro Napoli le con­nais­sent bien. Fin du match. Vic­toire sym­bol­ique pour l’équipe de Mug­nano. Les joueurs ren­trent un à un au ves­ti­aire. Dodò Soares, Cap-Ver­di­en, arbore un bouc tail­lé et des boucles d’oreilles. Ses blagues lancées en ital­ien déclenchent l’hilarité de ses coéquip­iers. Évo­quer la sit­u­a­tion actuelle du pays lui redonne son sérieux. « Le nou­veau gou­verne­ment et la poli­tique ne m’intéressent pas du tout, mais c’est très impor­tant pour moi que l’Afro Napoli défende ses valeurs. Surtout parce que je subis le racisme sur le ter­rain depuis tou­jours, à tous les matchs ».

L’attaquant de 28 ans, véri­ta­ble star de l’équipe, est revenu à l’Afro Napoli en 2017 après avoir par­ticipé aux prémices de l’aventure. Il n’est pas le seul à témoign­er d’un racisme omniprésent sur le ter­rain de foot. Suleiman Fouad, un Ghanéen de 25 ans, a accep­té de sign­er à l’Afro Napoli et de pass­er de la 3ème à la 5ème divi­sion car, selon lui, « se bat­tre con­tre le racisme dans le foot en Ital­ie, c’est fon­da­men­tal. » Il décrit des sit­u­a­tions récur­rentes : « Je souf­fre du racisme à tous les matchs. Same­di dernier, sur ce même ter­rain, j’avais la balle sur le côté et je suis tombé devant la tri­bune. J’ai enten­du des gens crier « Salvi­ni a rai­son, tu dois ren­tr­er dans ton pays ! » Puis ils sont venus der­rière le banc quand j’ai été rem­placé pour m’insulter encore. » Le milieu de ter­rain évolue en Ital­ie depuis sept ans et joue à l’Afro Napoli depuis trois saisons. « C’est injuste ce qui se passe ici, on est tous humains. Cer­tains ne com­pren­nent tou­jours pas ça, alors on est là pour con­va­in­cre les gens du bien-fondé de notre projet. »

Entraîne­ment tardif pour les jeunes de l’équipe. / © R. ALLIMANT

Les joueurs sont par­tis. Le soleil com­mence à déclin­er, tan­dis que les derniers spec­ta­teurs quit­tent peu à peu leur siège. Valle­fuo­co se vide mais les ques­tion­nements per­sis­tent. La poli­tique du nou­veau gou­verne­ment pose déjà de sérieux prob­lèmes au pro­jet d’Antonio Gargiu­lo. Les procé­dures pour obtenir le statut de réfugié ou un per­mis de séjour ont  été com­plex­i­fiées par une récente loi de Mat­teo Salvi­ni. Ces doc­u­ments sont indis­pens­ables pour qu’un joueur puisse quit­ter l’équipe ama­teure et entr­er dans le groupe pro­fes­sion­nel. Gui­do Boldoni réflé­chit aux défis futurs que va devoir affron­ter l’équipe : « Il est plus com­pliqué de trou­ver des joueurs parce que de nom­breux migrants ne vien­nent plus en Ital­ie. Ils vont en Espagne en pas­sant par une autre route depuis l’Afrique. Nous ne pou­vons pas savoir com­ment les choses vont évoluer mais si la poli­tique du gou­verne­ment con­tin­ue à aller dans ce sens, cela pour­rait pos­er de gros prob­lèmes au club ». Pour Anto­nio Gargiu­lo, « les objec­tifs soci­aux sont dif­fi­ciles à entrevoir aujourd’hui : nous voulons lut­ter con­tre le racisme et les dis­crim­i­na­tions mais nous sommes dans une société, une nation et un gou­verne­ment fondés sur la dis­crim­i­na­tion. C’est un moment his­torique très triste et hon­teux pour l’Italie. »

LIRE AUSSI :

À propos de Giorni

Giorni est le site de la 73ème pro­mo­tion du CFJ en voy­age à Rome.

Pour en savoir plus

Zeen Social Icons