Trop touristique, pas assez accessible… Le centre-ville de Rome ne convient plus aux habitants de la capitale, même de nuit. Des bars ouvrent dans les quartiers périphériques. C’est ainsi que Montesacro, jusqu’alors exclusivement résidentiel, est devenu un lieu branché où sortir le soir.
« Avant il n’y avait rien ici. Juste le marché. » Eugenio Preziuso est né à Montesacro, un quartier de Rome situé à une heure trente de marche du Colisée. Ces cinq dernières années, le jeune homme de 27 ans a vu son quartier se métamorphoser. Calme de jour, il est à présent très dynamique la nuit. Des bars ne cessent d’y ouvrir. Alors que le centre de Rome n’offre plus de cadre de vie satisfaisant à ses habitants, ce quartier périphérique de la capitale en profite et se dynamise. Jusqu’alors résidentiel, il devient le lieu pour sortir entre amis. Un phénomène déjà connu, il y a quelques années, de Pigneto à l’Est du centre historique.
Ce vendredi soir de février, le temps est doux dans la Villa Gottardo. Eugenio est venu prendre une pinte de bière en compagnie de ses amis. « Des Romains de tous quartiers viennent dorénavant à Montesacro. Le phénomène est particulièrement flagrant l’été. Tous les 2 juin, un concert gratuit attire 30 000 personnes sur la place municipale, la Piazza Sempione. » Le jeune homme désigne les véhicules qui lui font face. « L’été, il y a encore plus de voitures dans les rues. C’est bien la preuve que des gens extérieurs à Montesacro se déplacent jusqu’ici. La plupart viennent du centre, du Sud ou encore des banlieues ». Dans la rue, seuls les bars sont éclairés. Les villas et appartements, qui les surplombent de jour, s’effacent dans la nuit.
Sur le trottoir d’en face, Eleonora Deangelis est installée à la table d’un comptoir à vin, ouvert depuis trois mois. Les clients y grignotent des tapas autour d’un verre de vin ou d’un cocktail. À seulement 21 heures, toutes les tables sont occupées. La jeune femme vit à Furio-Camillo, un quartier du centre de la capitale et travaille à Montesacro depuis un an. C’est ici qu’elle préfère retrouver ses amies. « C’est un endroit où l’on retrouve de l’authenticité. C’est aussi bien plus propre que dans le centre-ville. » Assise en face d’elle, Simona Forlani acquiesce. Elle aussi préfère éviter les quartiers branchés du centre-ville, comme Trastevere. « C’est un cauchemar ! Impossible d’y aller le vendredi et le samedi, insiste-t-elle. Le métro y est quasi inexistant et ferme tôt en soirée. Par ailleurs, il y a trop de touristes. Quant aux restaurants et aux bistrots, ils ne sont pas d’aussi bonne qualité. » Au bout de la rue, sur la Piazza Agrippa, Léonardo Marciano ajoute : « A Trastevere, il y a beaucoup de monde et il y est très difficile de s’y garer. Je peux mettre une heure à trouver une place de parking. »
Leonardo habite à dix kilomètres au nord de Montesacro, à l’extérieur de Rome. Là-bas, il n’y a nulle part où prendre un apéritif. Seulement des bâtiments administratifs. Il y a cinq ans, le trentenaire sortait encore à San Lorenzo, un quartier à l’ouest du centre romain. Mais il ne se sent plus à sa place dans cette zone principalement étudiante. Devant la façade style underground d’un bar ouvert depuis deux ans, le jeune homme roule sa cigarette à la lumière d’une guirlande de guinguette. Des affiches proposent des tapas entre 9 et 12€ ainsi que des bières à 4€. «À Montesacro, je peux me garer, boire un verre et me rendre à la pizzeria ou au fastfood accessibles 24h/24, le tout à pied, poursuit Leonardo. C’est agréable, il y a des jardins et des bistrots qui proposent tous types de boissons. Si je le souhaite, je peux même poursuivre la fête à la discothèque qui se trouve à six kilomètres en voiture. »
De plus en plus de bars
Pour les locaux, cette métamorphose a commencé avec la création du Ponte Tazio, il y a dix ans. Ce kiosque à boissons, ouvert uniquement en période estivale, se situe non loin de la place municipale et à deux pas du jardin Parco Caio Sicinio Belluto. L’été, les Romains s’y retrouvent autour d’un verre pour écouter de la musique. Impossible de le louper. Il se situe au niveau du pont Tazio, l’unique point d’accès à Montesacro avant l’arrivée du métro en 2012. Le passage est encore très fréquenté.
Son attractivité a initié l’implantation de nombreux bars dans deux rues voisines : la Via Cimone et la Vialle Gottardo. Il y a trois mois seulement, un comptoir à vin y a ouvert ses portes. Sur la chaussée, le propriétaire Gabriele Scella désigne les bistrots successivement apparus ces dernières années, les uns à côté des autres. « Il y a eu le Sofa Wine Bar, en 2006. Puis, le Comò Bistrot en 2012, le Pastella en 2014, le Twenty, le Riverside et enfin, nous, le Meta’.» En lieu et place de l’établissement de Gabriele, se trouvait auparavant un cordonnier et un magasin d’électroménager. Le trentenaire explique que son associé détient également la brasserie située… sur le trottoir d’en face. Deux établissements, deux boissons différentes, deux publics conquis. «De plus en plus de jeunes s’installent à Montesacro », observe Alberto Bigi. Le trentenaire vit à Montesacro depuis 5 ans et a décidé d’ouvrir sa brasserie, l’Anchimò, sur la Piazza Agrippa, en 2016. « A Trastevere, pour sûr, j’aurais eu beaucoup plus de clients mais y ouvrir un bar est très coûteux. La location est dix fois plus élevée qu’à Montesacro. Ici, je ne paye que 1 500 euros par mois. Dès lors, je peux proposer des produits de qualité. »
Parmi les quartiers branchés où sortir à Rome, il y a San Lorenzo pour les étudiants, Trastevere pour les touristes et pour les autres, il y a Montesacro.
Alberto Bigi, propriétaire de l’Anchimò
Alberto ne manque pas de clients. Ce soir, il affiche complet. « Des pubs ouvrent tous les deux mois à Montesacro », affirme-t-il en désignant l’enseigne du trottoir d’en face : « Ce magasin de chasse et de pêche a été racheté. Une brasserie s’y tiendra dès avril prochain. » Ce qui portera à quatre, sur cette même place, le nombre d’endroits où se retrouver autour d’un verre. L’arrivée d’un potentiel concurrent n’inquiète pas Alberto : « Plus il y a de bars qui ouvrent, plus il y de personnes qui viennent ».
Le phénomène ne semble pas se restreindre au cœur de Montesacro. A une quinzaine de minutes plus au nord, une vinothèque s’est lancée à la conquête de la Piazza Adriatico. Ce lieu de réunion, qui existe depuis 1949, a racheté les locaux d’un glacier et d’un magasin de mobilier au cours de ces quatre dernières années. Ses locaux s’étendent désormais sur un pan entier de la place. Un peu plus loin, dans la Via Adamello, un établissement similaire s’installera prochainement.
Un conflit générationnel
Cette nouvelle clientèle nocturne comprend principalement des jeunes âgés de 25 à 35 ans. Un profil bien différent de celui des habitants historiques de Montesacro. Ces derniers relèvent principalement du troisième âge. La cohabitation de ces deux populations s’accompagne de quelques tensions. Des résidents se plaignent de tapages nocturnes, surtout en fin de semaine. Marina Midoro, 65 ans, habite depuis trente ans sur la Piazza Sempione. « Maintenant, il y a beaucoup de bruit la nuit. L’été, c’est problématique pour dormir ou encore se garer. » Marina regrette également la disparition des boutiques artisanales au profit de bars. « C’est peut-être une bonne chose pour les jeunes, mais pas pour moi », conclut-elle.
Devant l’église orangée qui surplombe la Piazza Sempione, Daniele Montesi, 20 ans, ne partage pas ce point de vue. Un bonnet vissé sur la tête, ce natif de Montesacro considère que « le bruit ne gêne que les personnes âgées ». La disparition des cordonniers et des boulangeries ne l’inquiète pas non plus. « Montesacro est très connecté, les commerces d’autres quartiers sont facilement accessibles en transports. » Le métro relie effectivement les habitants au centre en dix minutes. Depuis 2007, les résidents du quartier sont également à dix minutes de voiture du plus grand centre commercial d’Europe.
A gauche de l’église, dans les locaux de la municipalité III de Rome, le maire Giovanni Caudio considère que ces mutations sont positives pour le quartier. Le maire reste néanmoins vigilant. « Le phénomène doit rester sous contrôle. La valeur des logements de la Città Giardino ne doit pas baisser. » Les bars ont l’obligation de fermer avant 2 heures du matin. Des contrôles de police ont été mis en place le weekend. Une action qui garantit la sécurité des résidents, notamment des personnes âgées, mais qui peut mécontenter les commerces et leurs clients. Le maire a donc également décidé de renforcer le dialogue entre les deux populations. « J’ai monté une assemblée de commerçants et une assemblée de résidents, pour répondre aux intérêts de chacun. »
Vers une gentrification ?
A midi, sur la Piazza Agrippa, le marché bat son plein tandis que les brasseries somnolent. Maria Pia, 62 ans, fait ses courses dans un magasin de restauration biologique et vegan, ayant ouvert il y a une dizaine d’années. La sexagénaire vit à Montesacro depuis vingt-cinq ans. « Ces cinq dernières années, de jeunes couples se sont installés dans mon immeuble, observe-t-elle. Ce changement est assez flagrant. » C’est le cas d’Ipsy Hammi et de son mari. Tous deux ont vécu pendant sept ans à Prati, l’un des quartiers les plus chers du centre-ville romain. En 2013, ils déménagent à Montesacro où le prix des logements leur permet de devenir propriétaires d’un grand appartement. « Nous avons choisi Montesacro pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le quartier n’est pas trop excentré. Il est aussi bien desservi par les transports en commun surtout avec l’arrivée du métro. Enfin, c’est un quartier où s’installent de jeunes familles, des cadres, des architectes, des avocats… C’est-à-dire une population de classe moyenne élevée, avec laquelle nous nous identifions facilement. Et tout cela pour un coût relativement accessible. » A Prati, un appartement identique lui serait revenu 200 000 euros plus cher. Rafaella Cavallaro et sa famille ont également acheté une maison dans la via Cimone, l’une des rues aux logements les plus élevés de la Citta Jardino. Ici, les villas atteignent le million d’euros. La famille Cavallaro aurait eu les moyens de s’acheter un logement dans le centre mais cette éventualité ne leur a jamais traversé l’esprit. « Je surnomme Montesacro “le ghetto”, plaisante Rafaella. J’y fais tout à pied, pas besoin d’en sortir. »
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