© M. DEVAUCHELLE

Montesacro, nouveau cœur des nuits romaines

Écrit par
Mar­i­on Devauchelle
Enquête de
Mar­i­on Devauchelle et Thomas Despré à Rome

Trop touris­tique, pas assez acces­si­ble… Le cen­tre-ville de Rome ne con­vient plus aux habi­tants  de la cap­i­tale, même de nuit. Des bars ouvrent dans les quartiers périphériques. C’est ain­si que Mon­te­sacro, jusqu’alors exclu­sive­ment rési­den­tiel, est devenu un lieu branché où sor­tir le soir.

 « Avant il n’y avait rien ici. Juste le marché. » Euge­nio Prez­iu­so est né à Mon­te­sacro, un quarti­er de Rome situé à une heure trente de marche du Col­isée. Ces cinq dernières années, le jeune homme de 27 ans a vu son quarti­er se méta­mor­phoser. Calme de jour, il est à présent très dynamique la nuit. Des bars ne cessent d’y ouvrir. Alors que le cen­tre de Rome n’of­fre plus de cadre de vie sat­is­faisant à ses habi­tants, ce quarti­er périphérique de la cap­i­tale en prof­ite et se dynamise. Jusqu’alors rési­den­tiel, il devient le lieu pour sor­tir entre amis. Un phénomène déjà con­nu, il y a quelques années, de Pigne­to à l’Est du cen­tre historique.

Ce ven­dre­di soir de févri­er, le temps est doux dans la Vil­la Got­tar­do. Euge­nio est venu pren­dre une pinte de bière en com­pag­nie de ses amis. « Des Romains de tous quartiers vien­nent doré­na­vant à Mon­te­sacro. Le phénomène est par­ti­c­ulière­ment fla­grant l’été. Tous les 2 juin, un con­cert gra­tu­it attire 30 000 per­son­nes sur la place munic­i­pale, la Piaz­za Sem­pi­one. » Le jeune homme désigne les véhicules qui lui font face. « L’été, il y a encore plus de voitures dans les rues. C’est bien la preuve que des gens extérieurs à Mon­te­sacro se dépla­cent jusqu’ici. La plu­part vien­nent du cen­tre, du Sud ou encore des ban­lieues ». Dans la rue, seuls les bars sont éclairés. Les vil­las et apparte­ments, qui les sur­plombent de jour, s’ef­facent dans la nuit.

Sur le trot­toir d’en face, Eleono­ra Dean­ge­lis est instal­lée à la table d’un comp­toir à vin, ouvert depuis trois mois. Les clients y grig­no­tent des tapas autour d’un verre de vin ou d’un cock­tail. À seule­ment 21 heures, toutes les tables sont occupées. La jeune femme vit à Furio-Camil­lo, un quarti­er du cen­tre de la cap­i­tale et tra­vaille à Mon­te­sacro depuis un an. C’est ici qu’elle préfère retrou­ver ses amies. « C’est un endroit où l’on retrou­ve de l’authenticité. C’est aus­si bien plus pro­pre que dans le cen­tre-ville. » Assise en face d’elle, Simona For­lani acqui­esce. Elle aus­si préfère éviter les quartiers branchés du cen­tre-ville, comme Traste­vere. « C’est un cauchemar ! Impos­si­ble d’y aller le ven­dre­di et le same­di, insiste-t-elle. Le métro y est qua­si inex­is­tant et ferme tôt en soirée. Par ailleurs, il y a trop de touristes. Quant aux restau­rants et aux bistrots, ils ne sont pas d’aussi bonne qual­ité. » Au bout de la rue, sur la Piaz­za Agrip­pa, Léonar­do Mar­ciano ajoute : « A Traste­vere, il y a beau­coup de monde et il y est très dif­fi­cile de s’y gar­er. Je peux met­tre une heure à trou­ver une place de park­ing. »

Leonar­do habite à dix kilo­mètres au nord de Mon­te­sacro, à l’extérieur de Rome. Là-bas, il n’y a nulle part où pren­dre un apéri­tif. Seule­ment des bâti­ments admin­is­trat­ifs. Il y a cinq ans, le trente­naire sor­tait encore à San Loren­zo, un quarti­er à l’ouest du cen­tre romain. Mais il ne se sent plus à sa place dans cette zone prin­ci­pale­ment étu­di­ante. Devant la façade style under­ground d’un bar ouvert depuis deux ans, le jeune homme roule sa cig­a­rette à la lumière d’une guir­lande de guinguette. Des affich­es pro­posent des tapas entre 9 et 12€ ain­si que des bières à 4€. «À Mon­te­sacro, je peux me gar­er, boire un verre et me ren­dre à la pizze­ria ou au fast­food acces­si­bles 24h/24, le tout à pied, pour­suit Leonar­do. C’est agréable, il y a des jardins et des bistrots qui pro­posent tous types de bois­sons. Si je le souhaite, je peux même pour­suiv­re la fête à la dis­cothèque qui se trou­ve à six kilo­mètres en voiture. »

Simona For­lani et Eleono­ra Dean­ge­lis boivent un verre de vin au Meta’, une vinothèque qui a ouvert il y a trois mois, en lieu et place d’un cor­don­nier et d’un mag­a­sin d’électroménager. / © T. DESPRE

De plus en plus de bars

Pour les locaux, cette méta­mor­phose a com­mencé avec la créa­tion du Ponte Tazio, il y a dix ans. Ce kiosque à bois­sons, ouvert unique­ment en péri­ode esti­vale, se situe non loin de la place munic­i­pale et à deux pas du jardin Par­co Caio Sicinio Bel­lu­to. L’été, les Romains s’y retrou­vent autour d’un verre pour écouter de la musique. Impos­si­ble de le louper. Il se situe au niveau du pont Tazio, l’unique point d’accès à Mon­te­sacro avant l’arrivée du métro en 2012. Le pas­sage est encore très fréquenté.

Gabriele Scel­la, pro­prié­taire du Meta’

Son attrac­tiv­ité a ini­tié l’implantation de nom­breux bars dans deux rues voisines : la Via Cimone et la Vialle Got­tar­do. Il y a trois mois seule­ment, un comp­toir à vin y a ouvert ses portes. Sur la chaussée, le pro­prié­taire Gabriele Scel­la désigne les bistrots suc­ces­sive­ment apparus ces dernières années, les uns à côté des autres. « Il y a eu le Sofa Wine Bar, en 2006. Puis, le Comò Bistrot en 2012, le Pastel­la en 2014, le Twen­ty, le River­side et enfin, nous, le Meta’.» En lieu et place de l’établissement de Gabriele, se trou­vait aupar­a­vant un cor­don­nier et un mag­a­sin d’électroménager. Le trente­naire explique que son asso­cié détient égale­ment la brasserie située… sur le trot­toir d’en face. Deux étab­lisse­ments, deux bois­sons dif­férentes, deux publics con­quis. «De plus en plus de jeunes s’installent à Mon­te­sacro », observe Alber­to Bigi. Le trente­naire vit à Mon­te­sacro depuis 5 ans et a décidé d’ouvrir sa brasserie, l’Anchimò, sur la Piaz­za Agrip­pa, en 2016. « A Traste­vere, pour sûr, j’aurais eu beau­coup plus de clients mais y ouvrir un bar est très coû­teux. La loca­tion est dix fois plus élevée qu’à Mon­te­sacro. Ici, je ne paye que 1 500 euros par mois. Dès lors, je peux pro­pos­er des pro­duits de qual­ité. »



Par­mi les quartiers branchés où sor­tir à Rome, il y a San Loren­zo pour les étu­di­ants, Traste­vere pour les touristes et pour les autres, il y a Montesacro.

Alber­to Bigi, pro­prié­taire de l’Anchimò

Alber­to ne manque pas de clients. Ce soir, il affiche com­plet. « Des pubs ouvrent tous les deux mois à Mon­te­sacro », affirme-t-il en désig­nant l’enseigne du trot­toir d’en face : « Ce mag­a­sin de chas­se et de pêche a été racheté. Une brasserie s’y tien­dra dès avril prochain. » Ce qui portera à qua­tre, sur cette même place, le nom­bre d’endroits où se retrou­ver autour d’un verre. L’arrivée d’un poten­tiel con­cur­rent n’inquiète pas Alber­to : « Plus il y a de bars qui ouvrent, plus il y de per­son­nes qui vien­nent ».

Le phénomène ne sem­ble pas se restrein­dre au cœur de Mon­te­sacro. A une quin­zaine de min­utes plus au nord, une vinothèque s’est lancée à la con­quête de la Piaz­za Adri­ati­co. Ce lieu de réu­nion, qui existe depuis 1949, a racheté les locaux d’un glac­i­er et d’un mag­a­sin de mobili­er au cours de ces qua­tre dernières années. Ses locaux s’étendent désor­mais sur un pan entier de la place. Un peu plus loin, dans la Via Adamel­lo, un étab­lisse­ment sim­i­laire s’installera prochainement.

Le Raro a ouvert en décem­bre 2018. Il s’est instal­lé à dix min­utes à pieds du coeur de Mon­te­sacro et à seule­ment quelques pas du métro, inau­guré en 2012. / © A. TONET

Un conflit générationnel

Cette nou­velle clien­tèle noc­turne com­prend prin­ci­pale­ment des jeunes âgés de 25 à 35 ans. Un pro­fil bien dif­férent de celui des habi­tants his­toriques de Mon­te­sacro. Ces derniers relèvent prin­ci­pale­ment du troisième âge. La cohab­i­ta­tion de ces deux pop­u­la­tions s’accompagne de quelques ten­sions. Des rési­dents se plaig­nent de tapages noc­turnes, surtout en fin de semaine. Mari­na Midoro, 65 ans, habite depuis trente ans sur la Piaz­za Sem­pi­one. « Main­tenant, il y a beau­coup de bruit la nuit. L’été, c’est prob­lé­ma­tique pour dormir ou encore se gar­er. » Mari­na regrette égale­ment la dis­pari­tion des bou­tiques arti­sanales au prof­it de bars. « C’est peut-être une bonne chose pour les jeunes, mais pas pour moi », conclut-elle.

Devant l’église orangée qui sur­plombe la Piaz­za Sem­pi­one, Daniele Mon­te­si, 20 ans, ne partage pas ce point de vue. Un bon­net vis­sé sur la tête, ce natif de Mon­te­sacro con­sid­ère que « le bruit ne gêne que les per­son­nes âgées ». La dis­pari­tion des cor­don­niers et des boulan­geries ne l’inquiète pas non plus. « Mon­te­sacro est très con­nec­té, les com­merces d’autres quartiers sont facile­ment acces­si­bles en trans­ports. » Le métro relie effec­tive­ment les habi­tants au cen­tre en dix min­utes. Depuis 2007, les rési­dents du quarti­er sont égale­ment à dix min­utes de voiture du plus grand cen­tre com­mer­cial d’Europe.

Les bou­tiques arti­sanales de la Via Cimone devien­dront-elles des bar dans quelques années ? / © M. DEVAUCHELLE

Gio­van­ni Cau­dio, maire du Munici­pio III

A gauche de l’église, dans les locaux de la munic­i­pal­ité III de Rome, le maire Gio­van­ni Cau­dio con­sid­ère que ces muta­tions sont pos­i­tives pour le quarti­er. Le maire reste néan­moins vig­i­lant. « Le phénomène doit rester sous con­trôle. La valeur des loge­ments de la Cit­tà Gia­rdi­no ne doit pas baiss­er. » Les bars ont l’obligation de fer­mer avant 2 heures du matin. Des con­trôles de police ont été mis en place le week­end. Une action qui garan­tit la sécu­rité des rési­dents, notam­ment des per­son­nes âgées, mais qui peut mécon­tenter les com­merces et leurs clients. Le maire a donc égale­ment décidé de ren­forcer le dia­logue entre les deux pop­u­la­tions. « J’ai mon­té une assem­blée de com­merçants et une assem­blée de rési­dents, pour répon­dre aux intérêts de cha­cun. »

Vers une gentrification ? 

A midi, sur la Piaz­za Agrip­pa, le marché bat son plein tan­dis que les brasseries som­no­lent. Maria Pia, 62 ans, fait ses cours­es dans un mag­a­sin de restau­ra­tion biologique et veg­an, ayant ouvert il y a une dizaine d’années. La sex­agé­naire vit à Mon­te­sacro depuis vingt-cinq ans. « Ces cinq dernières années, de jeunes cou­ples se sont instal­lés dans mon immeu­ble, observe-t-elle. Ce change­ment est assez fla­grant. » C’est le cas d’Ip­sy Ham­mi et de son mari. Tous deux ont vécu pen­dant sept ans à Prati, l’un des quartiers les plus chers du cen­tre-ville romain. En 2013, ils démé­na­gent à Mon­te­sacro où le prix des loge­ments leur per­met de devenir pro­prié­taires d’un grand apparte­ment. « Nous avons choisi Mon­te­sacro pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le quarti­er n’est pas trop excen­tré. Il est aus­si bien desservi par les trans­ports en com­mun surtout avec l’ar­rivée du métro. Enfin, c’est un quarti­er où s’in­stal­lent de jeunes familles, des cadres, des archi­tectes, des avo­cats… C’est-à-dire une pop­u­la­tion de classe moyenne élevée, avec laque­lle nous nous iden­ti­fions facile­ment. Et tout cela pour un coût rel­a­tive­ment acces­si­ble. » A Prati, un apparte­ment iden­tique lui serait revenu 200 000 euros plus cher. Rafael­la Cav­al­laro et sa famille ont égale­ment acheté une mai­son dans la via Cimone, l’une des rues aux loge­ments les plus élevés de la Cit­ta Jardi­no. Ici, les vil­las atteignent le mil­lion d’euros. La famille Cav­al­laro aurait eu les moyens de s’acheter un loge­ment dans le cen­tre mais cette éven­tu­al­ité ne leur a jamais tra­ver­sé l’esprit. « Je surnomme Mon­te­sacro “le ghet­to”, plaisante Rafael­la. J’y fais tout à pied, pas besoin d’en sor­tir. »

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