La Ligue de Matteo Salvini s’est lancée dans une opération séduction des habitants du Sud de l’Italie. Quitte à amender son discours et à s’adapter à la demande politique des territoires où s’étend son influence.
Une petite foule commence déjà à s’amasser devant le numéro 8 de la Via Val Grana. C’est un évènement exceptionnel qui se déroule dans le quartier de Montesacro à Rome : la Ligue, ancienne Ligue du Nord, y ouvre son deuxième QG romain. De nombreuses personnalités politiques du parti sont présentes : la sénatrice Anna Cinzia Bonfrisco, Laura Corrotti, conseillère régionale ou encore Maurizio Politi, conseiller municipal.
Avec ses 59 900 d’habitants, Montesacro est l’un des plus grands quartiers de Rome. Maurizio Forliti, militant de la Ligue dans le centre historique confirme : « Ce Municipio représente un réel enjeu pour la Lega, c’est un quartier très populaire. » Dans cette salle qui accueillait avant des tournois de bridge, se succèdent alors les discours des élus romains de la Ligue : critiques de la maire Virginia Raggi et du Mouvement 5 étoiles (M5S) — qui fait pourtant partie de la coalition au gouvernement -, de l’Union Européenne, et de l’immigration. Le nom de Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur et leader du mouvement, est systématiquement acclamé.
Pour Laura Corrotti, élue régionale de la Ligue, l’objectif de ce second QG est de « faire du Municipio III un lieu où les habitants pourront se confier ». Mais ni elle, ni ses confrères ne proposent de solutions concrètes à leur auditoire. Ils dénoncent le comportement de Nicola Zingaretti, le président de la région Latium (Lazio, en italien) depuis 2013 qui « ne pense qu’à sa campagne électorale, et qui a abandonné le Lazio depuis bien longtemps », ajoute-t-elle. Au contraire, la Ligue, elle, veut « rassurer les Italiens qui ne croient plus en la politique actuelle et s’implanter durablement à Rome », affirme Fabrizio Santori, conseiller régional.
Cette réunion c’est aussi l’occasion pour les partisans de la Ligue de rencontrer, souvent pour la première fois, les élus locaux et les cadres du parti. Selfies, embrassades, autographes, ces derniers sont bien accueillis par l’assistance, en grande partie composée de personnes âgées. D’autres, pas encore convaincus, ont assisté à ce meeting politique pour « découvrir» ce que propose le parti pour Rome. C’est le cas de Valerio Bascetto, un étudiant en Langue et Culture de 26 ans. « Déçu » par Virginia Raggi, la maire de la ville, le jeune homme, est séduit par la vision du parti sur l’immigration.
« Les voleurs » de Rome ne sont plus
Quatre petits mois. Cela fait seulement quatre petits mois, que la Ligue s’est officiellement implantée à Rome, avec l’ouverture de son premier siège à Ponte Milvio. Ce qui ne l’avait pas empêchée de recueillir 10% des voix à Rome lors des élections législatives six mois plut tôt. Un premier succès pour le parti de Matteo Salvini qui a entamé, en 2017, une transformation politique. L’objectif : ne plus être considéré comme le parti du Nord de l’Italie. Preuve en est, l’abandon cette année-là du patronyme « du Nord ».
Désormais, la Ligue s’affiche comme le parti de tout le pays, quitte à renier ses fondamentaux politiques, dont la dimension régionaliste : « Notre objectif c’est d’être à l’image du pays, de rassembler des gens de toutes les professions et toutes les classes sociales », explique Maurizio Politi.
Exit les attaques contre le Sud pauvre « les voleurs de Rome » qui vivent aux crochets du Nord, la Ligue a lissé son discours. « C’est un changement politique extrêmement important », explique le professeur de sciences politiques Vincenzo Emanuele. « La visée n’est plus régionale, mais nationale. Nous n’avions pas de parti populiste d’extrême droite comme en France, ça a bousculé le paysage politique italien. » La Ligue veut être plus respectable. « Un peu comme Marine Le Pen en France », ajoute-t-il.
De 2,7% à 20%
À Rome, la Ligue s’est implantée grâce au travail de quelques pionniers, mais aussi partisans. Il y a seulement trois mois, Maurizio, Marco, Irina ou encore Paola, ont constitué le premier groupe de militants de la Ligue du Municipio I, le centre historique.
Pour discuter de leur stratégie, ces militants se réunissent chaque semaine, Via della Greca, dans la salle du conseil municipal de l’arrondissement. Augusto Carratelli, le vice-coordinateur du groupe est persuadé que la Ligue récolterait « 20 à 25% des voix à Rome aujourd’hui », contre 2,7% aux dernières municipales de 2016. Selon le dernier sondage de YouTrend, la Ligue récolte 30,7% des intentions de vote au niveau national, 6 points de plus que le Mouvement 5 étoiles.
Le parti profite depuis quelques mois d’un large mouvement anti-Virginia Raggi, qui cristallise les insatisfactions des habitants : « La ville est très sale, il y a beaucoup de commerce illégal, l’immigration trop importante. La situation est explosive et Raggi ne fait rien pour l’améliorer. » Accusée de « faux en écriture », la maire de Rome a été relaxée en novembre 2018 et a pu échapper à la démission, en attendant un autre scandale.
Malgré un gouvernement de coalition avec le Mouvement 5 étoiles, la Ligue n’hésite pas à taper sur le parti et son action à Rome. Maurizio Forliti concède : « Au niveau national, nous avons été pragmatiques. Nous avons signé un accord parce qu’il allait dans l’intérêt de nos idées. » Ce pragmatisme pourrait encore être de mise aux prochaines municipales. Pour le chercheur Vincenzo Emanuele, le parti est encore trop fragile à Rome « pour s’imposer sans coalition » : « Ils vont essayer de s’associer à Forza Italia et à d’autres partis de droite. »
Francesca Benevento, conseillère municipale dans le Municipio VII, et élue sous l’étiquette du M5S dénonce « l’opportunisme » de la Ligue : « C’est typiquement une stratégie pour obtenir plus d’influence et de pouvoir à Rome voire prendre entièrement le gouvernement italien. » Elle concède : « L’actuelle maire de Rome montre toute son incapacité à gouverner et la ville est en train de sombrer. Même nous, conseillers municipaux du Mouvement 5 étoiles sommes démotivés. »
S’unir pour mieux conquérir
Lorsque l’on demande aux militants du Municipio I pourquoi ils soutiennent un parti qui les insultaient quelques années auparavant, ils grimacent : « Vous savez, en politique on peut changer. La Ligue a changé et appartient désormais à la droite italienne. On ne peut plus penser en terme de nord ou de sud, il faut parler à l’ensemble du pays. »
Tous sont issus d’univers politiques assez proches, la droite traditionnelle italienne. Maurizio, le marchand d’antiquités est un ancien d’Il Popolo della Libertà — l’ancien parti de Silvio Berlusconi. On y retrouve aussi Irina, une Russe trentenaire arrivée à Rome il y a six ans, « qui n’aurait jamais pensé s’engager en politique », ou encore Paola, qui a vécu cinq ans en France et qui y avait milité avec le Front national.
Mais, se constituer en groupe et penser à une stratégie politique prend du temps, et ces militants n’y sont pas encore : « La Ligue s’est construite sur des bases nationales, mais ce que nous faisons là, c’est que nous essayons de l’implanter ici à Rome, concède Irina. Pour le moment, nous partons de rien. Nous sommes surtout en train de nous structurer ».
In diretta da Roma Prati ancora un banchetto per dire #SalviniNonMollare il coordinamento del Municipio 1 preparata con i romani un programma per cambiare pic.twitter.com/6VV7xB9gQF
— Lega Roma Centro Storico (@municipio_i) February 16, 2019
« Pragmatiques », comme ils ont tenu à le rappeler plusieurs fois, Maurizio, Irina, Marco ou encore Augusto visent les Européennes, avec comme objectif pour la Ligue, de virer en tête du scrutin. Les municipales viendront plus tard, et pour le moment, ces militants n’ont aucune visibilité : « L’organe national de la Ligue est différent des organes locaux. Peut-être même qu’il y aura une coalition. »
Et même si la Ligue gagne, saura-t-elle assumer la gestion d’une ville comme Rome, réputée « ingouvernable » ? Gianni Alemanno, Ignazio Marino, Walter Veltroni, et maintenant Virginia Raggi s’y sont tous cassés les dents. Mais ces militants ont surtout envie de croire en leur chance : « C’est encore pire à Naples, s’exclame Maurizio en riant. Nous avons de l’espoir. (…) Quand Gianni Alemanno (Il Popolo della Libertà, ndlr) a gagné la mairie en 2008, j’y ai vraiment cru, mais il a échoué. Nous devons continuer à essayer de changer les choses. »
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