Matteo Salvini visite le site de construction de la ligne entre la France et l'Italie.

Salvini et la Ligue : objectif Rome

Ecrit par
Sasha Beck­er­mann
Enquête de
Sasha Beck­er­mann et Thibault Grosse à Rome

La Ligue de Mat­teo Salvi­ni s’est lancée dans une opéra­tion séduc­tion des habi­tants du Sud de l’Italie. Quitte à amender son dis­cours et à s’adapter à la demande poli­tique des ter­ri­toires où s’é­tend son influence.

Une petite foule com­mence déjà à s’amasser devant le numéro 8 de la Via Val Grana. C’est un évène­ment excep­tion­nel qui se déroule dans le quarti­er de Mon­te­sacro à Rome : la Ligue, anci­enne Ligue du Nord, y ouvre son deux­ième QG romain. De nom­breuses per­son­nal­ités poli­tiques du par­ti sont présentes : la séna­trice Anna Cinzia Bon­frisco, Lau­ra Cor­rot­ti, con­seil­lère régionale ou encore Mau­r­izio Poli­ti, con­seiller municipal.

La séna­trice Anna Cinzia Bon­frisco à l’ou­ver­ture du siège de la Ligue à Mon­te­sacro. / © Thibault Grosse

Avec ses 59 900 d’habitants, Mon­te­sacro est l’un des plus grands quartiers de Rome. Mau­r­izio For­l­i­ti, mil­i­tant de la Ligue dans le cen­tre his­torique con­firme : « Ce Munici­pio représente un réel enjeu pour la Lega, c’est un quarti­er très pop­u­laire. » Dans cette salle qui accueil­lait avant des tournois de bridge, se suc­cè­dent alors les dis­cours des élus romains de la Ligue : cri­tiques de la maire Vir­ginia Rag­gi et du Mou­ve­ment 5 étoiles (M5S) — qui fait pour­tant par­tie de la coali­tion au gou­verne­ment -, de l’Union Européenne, et de l’immigration. Le nom de Mat­teo Salvi­ni, min­istre de l’Intérieur et leader du mou­ve­ment, est sys­té­ma­tique­ment acclamé. 

Pour Lau­ra Cor­rot­ti, élue régionale de la Ligue, l’objectif de ce sec­ond QG est de « faire du Munici­pio III un lieu où les habi­tants pour­ront se con­fi­er ». Mais ni elle, ni ses con­frères ne pro­posent de solu­tions con­crètes à leur audi­toire. Ils dénon­cent le com­porte­ment de Nico­la Zin­garet­ti, le prési­dent de la région Latium (Lazio, en ital­ien) depuis 2013 qui « ne pense qu’à sa cam­pagne élec­torale, et qui a aban­don­né le Lazio depuis bien longtemps », ajoute-t-elle. Au con­traire, la Ligue, elle, veut « ras­sur­er les Ital­iens qui ne croient plus en la poli­tique actuelle et s’implanter durable­ment à Rome », affirme Fab­rizio San­tori, con­seiller régional.

Lau­ra Cor­rot­ti, con­seil­lère régionale de la Ligue. © Thibault Grosse

Cette réu­nion c’est aus­si l’occasion pour les par­ti­sans de la Ligue de ren­con­tr­er, sou­vent pour la pre­mière fois, les élus locaux et les cadres du par­ti. Self­ies, embras­sades, auto­graphes, ces derniers sont bien accueil­lis par l’assistance, en grande par­tie com­posée de per­son­nes âgées. D’autres, pas encore con­va­in­cus, ont assisté à ce meet­ing poli­tique pour « décou­vrir» ce que pro­pose le par­ti pour Rome. C’est le cas de Vale­rio Bascet­to, un étu­di­ant en Langue et Cul­ture de 26 ans. « Déçu » par Vir­ginia Rag­gi, la maire de la ville, le jeune homme, est séduit par la vision du par­ti sur l’immigration.

« Les voleurs » de Rome ne sont plus

Qua­tre petits mois. Cela fait seule­ment qua­tre petits mois, que la Ligue s’est offi­cielle­ment implan­tée à Rome, avec l’ouverture de son pre­mier siège à Ponte Mil­vio. Ce qui ne l’avait pas empêchée de recueil­lir 10% des voix à Rome lors des élec­tions lég­isla­tives six mois plut tôt. Un pre­mier suc­cès pour le par­ti de Mat­teo Salvi­ni qui a entamé, en 2017, une trans­for­ma­tion poli­tique. L’objectif : ne plus être con­sid­éré comme le par­ti du Nord de l’Italie. Preuve en est, l’abandon cette année-là du patronyme « du Nord ». 

Désor­mais, la Ligue s’affiche comme le par­ti de tout le pays, quitte à renier ses fon­da­men­taux poli­tiques, dont la dimen­sion région­al­iste : « Notre objec­tif c’est d’être à l’image du pays, de rassem­bler des gens de toutes les pro­fes­sions et toutes les class­es sociales », explique Mau­r­izio Politi. 

Exit les attaques con­tre le Sud pau­vre « les voleurs de Rome » qui vivent aux cro­chets du Nord, la Ligue a lis­sé son dis­cours. « C’est un change­ment poli­tique extrême­ment impor­tant », explique le pro­fesseur de sci­ences poli­tiques Vin­cen­zo Emanuele. « La visée n’est plus régionale, mais nationale. Nous n’avions pas de par­ti pop­uliste d’extrême droite comme en France, ça a bous­culé le paysage poli­tique ital­ien. » La Ligue veut être plus respectable. « Un peu comme Marine Le Pen en France », ajoute-t-il. 

Les mil­i­tants de la Ligue du Munici­pio I. Iri­na, Mar­co, Mar­co, Pao­lo Mau­r­izio, Mar­co (De dr. à g.) / © Thibault Grosse

De 2,7% à 20%

À Rome, la Ligue s’est implan­tée grâce au tra­vail de quelques pio­nniers, mais aus­si par­ti­sans. Il y a seule­ment trois mois, Mau­r­izio, Mar­co, Iri­na ou encore Pao­la, ont con­sti­tué le pre­mier groupe de mil­i­tants de la Ligue du Munici­pio I, le cen­tre his­torique.

Pour dis­cuter de leur stratégie, ces mil­i­tants se réu­nis­sent chaque semaine, Via del­la Gre­ca, dans la salle du con­seil munic­i­pal de l’arrondissement. Augus­to Car­ratel­li, le vice-coor­di­na­teur du groupe est per­suadé que la Ligue récolterait « 20 à 25% des voix à Rome aujourd’hui », con­tre 2,7% aux dernières munic­i­pales de 2016. Selon le dernier sondage de YouTrend, la Ligue récolte 30,7% des inten­tions de vote au niveau nation­al, 6 points de plus que le Mou­ve­ment 5 étoiles.

Augus­to Car­ratel­li, vice-coor­di­na­teur du groupe de mil­i­tants de la Ligue du Munici­pio I. / © Thomas Despre

Le par­ti prof­ite depuis quelques mois d’un large mou­ve­ment anti-Vir­ginia Rag­gi, qui cristallise les insat­is­fac­tions des habi­tants : « La ville est très sale, il y a beau­coup de com­merce illé­gal, l’immigration trop impor­tante. La sit­u­a­tion est explo­sive et Rag­gi ne fait rien pour l’améliorer. » Accusée de « faux en écri­t­ure », la maire de Rome a été relaxée en novem­bre 2018 et a pu échap­per à la démis­sion, en atten­dant un autre scandale. 

Mal­gré un gou­verne­ment de coali­tion avec le Mou­ve­ment 5 étoiles, la Ligue n’hésite pas à taper sur le par­ti et son action à Rome. Mau­r­izio For­l­i­ti con­cède : « Au niveau nation­al, nous avons été prag­ma­tiques. Nous avons signé un accord parce qu’il allait dans l’in­térêt de nos idées. » Ce prag­ma­tisme pour­rait encore être de mise aux prochaines munic­i­pales. Pour le chercheur Vin­cen­zo Emanuele, le par­ti est encore trop frag­ile à Rome « pour s’imposer sans coali­tion » : « Ils vont essay­er de s’associer à Forza Italia et à d’autres par­tis de droite. »

Francesca Ben­even­to, con­seil­lère munic­i­pale dans le Munici­pio VII, et élue sous l’étiquette du M5S dénonce « l’opportunisme » de la Ligue : « C’est typ­ique­ment une stratégie pour obtenir plus d’influence et de pou­voir à Rome voire pren­dre entière­ment le gou­verne­ment ital­ien. » Elle con­cède : « L’actuelle maire de Rome mon­tre toute son inca­pac­ité à gou­vern­er et la ville est en train de som­br­er. Même nous, con­seillers munic­i­paux du Mou­ve­ment 5 étoiles sommes démotivés. »

S’unir pour mieux conquérir

Lorsque l’on demande aux mil­i­tants du Munici­pio I pourquoi ils sou­ti­en­nent un par­ti qui les insul­taient quelques années aupar­a­vant, ils gri­ma­cent : « Vous savez, en poli­tique on peut chang­er. La Ligue a changé et appar­tient désor­mais à la droite ital­i­enne. On ne peut plus penser en terme de nord ou de sud, il faut par­ler à l’ensemble du pays. »

Tous sont issus d’univers poli­tiques assez proches, la droite tra­di­tion­nelle ital­i­enne. Mau­r­izio, le marc­hand d’antiquités est un ancien d’Il Popo­lo del­la Lib­ertà — l’an­cien par­ti de Sil­vio Berlus­coni. On y retrou­ve aus­si Iri­na, une Russe trente­naire arrivée à Rome il y a six ans, « qui n’aurait jamais pen­sé s’engager en poli­tique », ou encore Pao­la, qui a vécu cinq ans en France et qui y avait mil­ité avec le Front national. 

Mais, se con­stituer en groupe et penser à une stratégie poli­tique prend du temps, et ces mil­i­tants n’y sont pas encore : « La Ligue s’est con­stru­ite sur des bases nationales, mais ce que nous faisons là, c’est que nous essayons de l’implanter ici à Rome, con­cède Iri­na. Pour le moment, nous par­tons de rien. Nous sommes surtout en train de nous struc­tur­er ».

« Prag­ma­tiques », comme ils ont tenu à le rap­pel­er plusieurs fois, Mau­r­izio, Iri­na, Mar­co ou encore Augus­to visent les Européennes, avec comme objec­tif pour la Ligue, de vir­er en tête du scrutin. Les munic­i­pales vien­dront plus tard, et pour le moment, ces mil­i­tants n’ont aucune vis­i­bil­ité : « L’organe nation­al de la Ligue est dif­férent des organes locaux. Peut-être même qu’il y aura une coali­tion. »

Et même si la Ligue gagne, saura-t-elle assumer la ges­tion d’une ville comme Rome, réputée « ingou­vern­able » ? Gian­ni Ale­man­no, Ignazio Mari­no, Wal­ter Vel­troni, et main­tenant Vir­ginia Rag­gi s’y sont tous cassés les dents. Mais ces mil­i­tants ont surtout envie de croire en leur chance : « C’est encore pire à Naples, s’exclame Mau­r­izio en riant. Nous avons de l’espoir. (…) Quand Gian­ni Ale­man­no (Il Popo­lo del­la Lib­ertà, ndlr) a gag­né la mairie en 2008, j’y ai vrai­ment cru, mais il a échoué. Nous devons con­tin­uer à essay­er de chang­er les choses. »

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